Dans la tradition occidentale, le livre est considéré comme une unité, une totalité sur laquelle toute la culture repose (le savoir absolu, le Grand Livre de la Nature). Les nouvelles pratiques scientifiques et de communication, qui réduisent massivement la part de l'écriture phonétique, de la parole et du livre, remettent en question cette unité. Jacques Derrida inscrit sa pratique dans ce mouvement. Il ne se présente pas comme un auteur de livres, qui chercherait à présenter un système linéaire et cohérent, mais comme le signataire de textes où subsistent des ressources indécidables, des blancs. Il n'y a ni commencement, ni achèvement à cette opération textuelle qui s'inscrit dans la clôture actuelle de la métaphysique - sa dé-limitation, la tension entre l'instabilité des limites et leur rétablissement [stricture].

D'un côté, il multiplie les citations, les références, les notes, les suppléments, les collages, jusqu'à rendre floues les limites qui séparent son texte des autres textes (consumation); d'un autre côté, il tient à une rigueur de pensée, au respect de certaines règles d'écriture, ne serait-ce que par simulacre. Finalement, c'est son texte même, aux marges et entre les lignes de ceux des autres, qui invente les formulations et prescriptions qui le légitiment [au-delà du performatif].

La bibliothèque de Jacques Derrida.