Souvent la peinture influence la mise en scène, mais il est rare que ce soit l'action théatrale qui influence la peinture. C'est pourtant ce qui s'est passé pour Malevitch. Deux amis, Vladimir Maiakovski (20 ans) et Alexei Kruchenykh, ont présenté en 1913 deux pièces qui étaient aussi des performances : "Vladimir Maiakovski" (tragédie à sa propre gloire) et "Victoire sur le soleil" (opéra). Mise en scène cubiste avec formes abstraites (cônes, spirales), costumes en papier mâché, lumière aveuglante, masques, prononciation bizarre, non-sens, absence de réalisme, désintégration des concepts, des mots et de l'harmonie musicale, le succès a été énorme. C'était une nouvelle forme de vision, dont Malévitch s'est souvenu dans sa peinture : formes géométriques et personnages-marionnettes.

Malévitch a déclaré plus tard que la peinture suprématiste trouvait son origine dans "Victoire sur le soleil". L'influence a été mutuelle. Les collaborations entre poètes, musiciens et artistes se sont multipliées. Il fallait remplacer le pinceau et la peinture par "l'espace réel et des matériaux réels", ce qui conduisait tout droit à la propagande politique.

Que la performance, mélange de bruit, de profération, de provocation et d'abstraction visuelle, soit venue au coeur de la peinture n'est pas indifférent. Elle est venue subvertir et remplacer les codes anciens de la peinture. La voix proférée (à ne pas confondre avec la parole) s'est violemment insérée dans la matière visuelle.