La mémoire consciente, accessible, est plus rare que l'autre mémoire (la vraie), celle qui n'est pas disponible, celle qui reste déposée ailleurs, inconsciente, faite de traces ou d'oublis, celle à laquelle on fait appel dans les gestes les plus quotidiens : parler, bouger, dessiner, écrire. L'oubli survit mieux que la mémoire.
Même mort, même enfoui dans une crypte, le souvenir reste. A travers les obstacles, son fantôme revient. Le résultat est imprévisible : symptôme, discours, système, logique, tout peut s'écrire, tout peut porter la trace oubliée. A partir d'agencements considérés comme des faits mémoriels, on produit de l'histoire, on fabrique les énigmes ou les mystères. L'oeuvre ou l'image d'art est un de ces produits privilégiés.
Dans une multitudes d'actes, nous mobilisons ce que nous avons oublié. Par exemple le dessinateur qui jette une esquisse sur le papier (la sinopie d'Adami), le cinéaste qui se rappelle les moments qui le hantent et dont il n'a jamais fait le deuil, celui qui découvre une photo attestant de ce qui le touche, etc...
Il y a des supports de la mémoire : empreintes, photos, restes. Ils peuvent nous guider, à condition de les ouvrir, de les dépétrifier, de les désaturer. Il est alors possible d'extraire de la mémoire une voix vive - mais cette voix est elle aussi un masque. Jamais l'enfoui n'apparaît en pleine lumière.
Nous supposons généralement, spontanément, que la mémoire vaut mieux que l'oubli. Toute mémoire suppose une politique de la mémoire qu'il faut critiquer et penser.
|