Il y a toujours eu des machines, des prothèses, etc... Les télétechnologies contemporaines ne diffèrent d'elles que par un trait : on garde vivants - par l'image ou par la voix - des moments qui autrefois étaient perdus. Entre la possession et l'exappropriation, on ne choisit pas - pas plus qu'entre maîtrise et non-maîtrise - car l'exappropriation est originelle, inéluctable. S'il y a choix, c'est entre différentes configurations de "maîtrise sans maîtrise".

On ne peut pas tout contrôler, mais il y a différentes façons de limiter ce qu'on ne contrôle pas. Exemple : dans une situation où il est filmé par une télévision, Jacques Derrida essaie d'éviter que ce qu'il dit et fait soit utilisé à des fins auxquelles il s'oppose. Il sait qu'il ne maîtrisera pas l'image télévisuelle, mais il peut limiter cette non-maîtrise - c'est tout ce qu'il peut faire. Ainsi la technologie s'inscrit-elle dans l'histoire générale de l'écriture.

© Hugues Gillet. Les Technophages (2007).