Lorsqu'il a été présenté au Salon des Indépendants de New York, il a mis en échec le consensus parmi les organisateurs (dont Duchamp faisait partie). Il a révélé les habitus auxquels obéissaient leur jugement. Par un coup de force, il a projeté dans un futur anticipé la sanction rétrospective qui allait l'introduire dans le patrimoine, où il est encore, comme un scandale permanent. Il est un constat d'auto-référence absolue de l'art, de dignité, et aussi de décadence. Sa postérité est une imposture

Toujours là en 1985 et plus tard, la pissotière éclabousse d'humour les témoins de l'art contemporain (p64). Toujours, elle suscite encore le sentiment de jubilation qui fait se retourner comme un gant le programme de la modernité. Ni belle, ni laide, elle est l'occasion d'un sentiment violent, contradictoire, fait de dégoût, de ridicule mais aussi d'amour fou et de désespoir. Elle n'est pas un objet du patrimoine, mais n'importe quoi, un objet quelconque, un appel provoquant au jugement du critique qui devrait faire jurisprudence.

Duchamp a acheté lui-même, pour le Salon des artistes Indépendants de New York, le premier urinoir qu'il a signé R. Mutt 1917 [bien que ce nom E. Mutt ne soit pas le sien]. Mais cet original a été égaré. Il en a donc acheté un autre pour la Sydney Janis Gallery, un troisième pour la Galleria Schwarz de Milan, et par la suite il a mis en circulation une édition de huit exemplaires, signés et numérotés.