L'écran a été au début un artefact, une ingénieuse invention qui mimait autant que possible le cadre d'un tableau. Son usage s'est étendu, élargi. Nous nous y sommes si bien adaptés que nous avons pris l'habitude de voir son plan opaque s'interposer entre le monde et nous. Nous ne voyons pas à travers lui, comme à travers une fenêtre transparente, nous voyons sur lui. Il ne creuse pas un espace avec ses points de repère, il étale une surface à laquelle nous adhérons. Cette surface ne se substitue à aucune autre, elle vient en plus.
L'écran n'invite pas à la compréhension, mais à l'identification du spectateur. C'est un masque dont on peut jouer. On peut en retenir d'autres identifications que celles de la vie courante, les imprimer dans son corps, comme des spectres. Sur cela se construisent désormais les idéologies, qu'elles soient ludiques, familiales, sportives, militantes ou nationales.
Les limites de l'écran ne sont pas spatiales (ses bords ne délimitent pas le monde du film). Elles sont, entre autres, technologiques, esthésiques ou psychologiques. La surface d'un écran a quelque chose de centrifuge, elle peut s'étendre indéfiniment. Quand l'image est sonorisée, où se trouve la voix? Dans ou hors l'écran? Elle rôde autour des limites de l'écran tout en le coupant, c'est là toute la difficulté.
Le petit écran instaure avec ceux qui y "passent" un type de dialogue dans lequel leur singularité s'évanouit.
L'écran se suffit à lui-même. Malgré tous les artefacts, il ne donne pas sur une scène, mais sur un lieu absent. La tyrannie du visible n'a plus de bornes.
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