La date du readymade est problèmatique, mais antérieure aux débuts du Cabaret Voltaire (1916). La Roue de bicyclette date de 1913, le Sèche-bouteille de 1914 et la première apparition publique de Fontaine de 1917. Dada est un nom générique qui instaure un nouveau genre artistique, le n'importe quoi autorisé, dont Duchamp devait se méfier. Dada est anti-culte, anti-métier, anti-tradition, anti-loi, mais Duchamp n'est assujetti ni à la loi, ni à l'anti-loi. Les dadaistes se croient auteurs de leur libération, tandis que Duchamp ne profane rien. La profanation est de l'ordre de l'étant donné : elle a déjà eu lieu (par les masses, pas par Dada).

Duchamp ne mime pas, même par dérision, l'expert en art. Il s'adresse au spectateur d'aujourd'hui, à la masse médiatisée, indifférente à l'art contemporain. Il prend par anticipation la posture du profane de l'avenir : celui qui prouve qu'il est un amateur d'art en produisant son billet d'entrée. Duchamp s'abstient de juger, comme le spectateur. Ce sont les regardeurs qui font les tableaux, mais d'un regard distrait. Il ne transmet pas la tradition. Il accompagne symboliquement le transfert du pouvoir législateur à la foule : n'importe qui peut juger, même sans expertise.