- Nimos : Entre la marchandise, la finance, la musique, le sport ou le savoir, il y a toutes sortes de mondialisations. Selon moi la plus importante, et de très loin, celle qui gouverne toutes les autres, c'est celle de la voix. Je ne prétends pas qu'elle ait été la première chronologiquement. Après tout l'unification du monde a commencé bien avant l'ère de la radio, du téléphone ou des réseaux numériques. Mais ce qui s'est passé défie l'avancée du temps. L'espace est devenu vocal, tout s'est réordonné à partir de la voix. Je crois qu'on ne peut pas faire autrement, aujourd'hui, que de reconnaître ce point de départ.
- Ignace : Après tout l'humain a toujours été vococentriste, ça n'a rien d'une nouveauté.
- Nimos : Ce qui est nouveau n'est pas la centralité de la voix, c'est sa portée. Elle n'est plus à l'échelle des corps, mais à celle des machines. Elle ne tient plus son pouvoir de la parole, mais de la maîtrise technique. Elle est capable de se transformer, se démultiplier, se métamorphoser tout en restant unique; elle mime presque à la perfection les voix naturelles, mais nous savons tous qu'elle n'est qu'une accumulation d'artefacts.
- Ignace : Les voix se sont toujours détachées des corps.
- Nimos : Elles se détachaient des corps, mais elles continuaient à tourner autour d'eux. Ce qui arrive aujourd'hui est autre chose, c'est une séparation radicale, une autre expérience du lieu. Nous sommes encerclés par des voix tentaculaires, monstrueuses, qui ne sont proférées par aucune bouche. Ce sont des voix autonomes, inhumaines.
- Harald : Est-ce que ce sont encore des voix? Ou des langages, des écritures déguisées en voix, des leurres vocaux dont la structure, le fonctionnement sont étrangers à la voix?
- Pascual : Elles ressemblent à des voix, mais ce sont des spectres qui nous arrivent du passé, du présent, du futur. Ils s'imposent à nous, nous traversent. L'enjeu pour nous n'est pas de les contrôler (c'est impossible), c'est de faire un choix. En laisser passer certaines, et en récuser d'autres.
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