Même si elle n'est pas exacte, une telle proposition peut être valablement soutenue. On peut difficilement en dire autant de la peinture, de la sculpture, de la poésie et même de la musique. Les artistes les plus ambitieux y travaillent, mais leur public est très réduit, sauf des cas isolés et intermittents. Comme l'expliquait Tolstoï, les riches s'intéressent à l'art pour de mauvaises raisons et les pauvres ne s'y intéressent pas. Mais ce n'est pas le cas du cinéma : tout le monde y réagit. Il n'y a pas vraiment séparation entre public raffiné et public vulgaire, entre les formes raffinées et les formes vulgaires du cinéma.

En général, ceux qui s'intéressent à la musique "sérieuse" ne s'intéressent pas à la musique légère. Il en est de même de la littérature. Mais au cinéma, il y a presque toujours quelque chose à trouver dans un film, et ce quelque chose dépend du moment où on le voit, avec quels amis, l'attitude du public, etc... Ce n'est pas la même chose de voir un film à sa sortie et 30 ans plus tard. On ne participe pas au même rite, au même culte. On ne se souvient pas du film de la même manière.

Photo D.R. - La fille de Pharaon découvre le berceau de Moïse (in Les Dix Commandements, Cecil B. de Mille, 1958).

Le cinéma a évité le destin du modernisme. Il a pu maintenir ses continuités en termes de public et de genre, il a pu être pris au sérieux sans endosser le fardeau du sérieux. Il n'est pas limité aux chefs d'oeuvre. C'est un art qui peut survivre à la négligence et au mépris.