Le problème des avant-gardes, c'est qu'on n'arrive jamais à s'en débarrasser. Elles reviennent toujours sous un nouveau déguisement. On aurait pu imaginer que le post-moderne allait les aplatir, les relativiser au nom de l'anachronisme général de l'art moderne. Mais voilà : les artistes y rêvent toujours et encore, comme si la figure d'un art radical était le propre de l'art contemporain, ou comme si le mouvement était tellement ancré dans la tradition qu'il était devenu impossible de faire de l'art sans lui.
L'art radical recherche le dissensus, l'hétérogène, afin de l'incorporer ou de se l'intégrer à lui-même. Dans un premier temps, les oeuvres ainsi produites choquent la morale ou le sens de la beauté. Elles semblent étrangères, aussi inassimilables que les assassins, les Roms ou les Juifs. Mais cette hétérogénéité ne dure pas. Toujours l'art d'avant-garde (comme tout art) finit par s'institutionnaliser. Il ne brise les règles établies que pour asseoir l'autorité des règles qui découleront de ce qu'il aura fait. Son rapport au politique repose sur le même modèle, il ne se pose en adversaire radical des appareils de l'espace public que pour en instituer d'autres, qui formeront le prochain ennemi qui légitimera la prochaine avant-garde.
Rejeter toute tradition implique de privilégier le présent, l'immédiat. Il faut un choc, un déchirement vécu, sensible (même s'il dure peu). Il faut aussi se désintéresser, au moins provisoirement, du spectateur.
Une avant-garde ne supprime pas les lois existantes. Elle se débarrasse de certaines conventions inessentielles à son projet, mais garde celles qui confortent sa propre forme. Il s'agit d'aller jusqu'au bout de ses procédures, ce qui peut la conduire soit à l'épuisement, comme ce fut le cas pour le cubisme, soit à une étrange capacité de renouvellement à l'identique, comme le cinéma en montre l'exemple protéiforme.
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