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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, ses livres | Derrida, ses livres | ||||||||||||||||
Sources (*) : | Un triple essai sur le nom | Un triple essai sur le nom | |||||||||||||||
Jacques Derrida - "Passions, "L'offrande oblique"", Ed : Galilée, 1993, | Passions, "L'offrande oblique" (Jacques Derrida, 1993) [Passions] |
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Texte de 91 pages, daté de juillet 1991, divisé en trois parties (I, II et III), non compris le "Prière d'insérer" et les notes (18 pages). Ce "Prière d'insérer" est repris trois fois, à l'identique, dans les trois essais Passions, Sauf le nom et Khôra, qui ont été publiés la même année chez Galilée (1993). Derrida précise qu'ils forment un ouvrage indépendant, une sorte d'Essai sur le nom qui peut se lire en trois chapitres dans cet ordre, qui n'est pas celui de la première publication (Khôra date de 1987, les deux autres textes de 1991). Le premier des trois textes (chronologiquement) devient ainsi, dans cet ordre indiqué après-coup, le dernier, tandis que Passions vient en premier dans l'ordre virtuel de publication, sans pour autant commencer, puisque c'est le Prière d'insérer, à la fois intérieur et extérieur, qui se présente au début. --- Résumé du livre, écrit par Jacques Derrida lui-même dans le "Prière d'insérer" : "Passions dit un secret absolu, à la fois essentiel et étranger à ce qu'on appelle en général du nom de secret. Pour en venir là, il fallait mettre en scène, dans la répétition plus ou moins fictive d'un "ceci est mon corps" et au cours d'une méditation sur les paradoxes de la politesse, l'expérience où s'emporte une dette incalculable : s'il y a du devoir, ne doit-il pas consister à ne pas devoir, à devoir sans devoir, à devoir ne pas devoir? A devoir ne pas devoir agir "conformément au devoir", ni même, comme le dirait Kant, "par devoir"? Quelles peuvent en être les conséquences éthiques ou politiques? Que doit-on entendre sous ce nom, "devoir"? Et qui peut se charger de le porter dans la responsabilité? --- Ce texte a été écrit dans le cadre d'un livre coordonné par David Wood, Derrida, a critical reader, publié en 1992. Intitulé en anglais Passions : An Oblique Offering, il occupe la deuxième place dans le livre, juste après l'introduction, bien qu'il doive, en principe, répondre aux onze autres textes. De fait, il n'y répond pas, il analyse plutôt le devoir qu'il y aurait à devoir répondre. Mettre en échec ce rite, cette cérémonie, ce serait introduire une crise - du verbe krinein, un mot grec apparenté à kritikos, d'où dérive le mot critique. Cette crise, elle éclaterait si Derrida s'écartait du langage du rite ou du devoir. Il ne le ferait pas par manque de politesse, mais par amitié, une amitié qui ne serait pas de l'ordre du devoir, qui ne résulterait pas d'une prescription, ni d'une règle, mais d'une invention au-delà de la règle. Le problème, c'est que le concept de devoir, on ne peut l'aborder qu'obliquement c'est-à-dire passionnément. La passivité, ici, c'est le refus d'une réponse frontale. Répondre directement aux autres auteurs, ce serait les faire comparaître devant un tribunal, une instance juridique, philosophique ou morale. Ce serait répondre au nom de soi, alors que la décision responsable ne peut ni s'auto-justifier, ni répondre d'elle-même. Elle s'exerce au nom de l'autre, d'un autre absent et invisible. On ne peut pas nier cela, dit Derrida, c'est l'indéniable même de l'éthique. A cette invitation, Derrida répond donc par une méditation sur son nom. a. il a donné son nom à ce qu'on pourrait appeler un mouvement de pensée, ou déconstruction. Si cette pensée lui revient, c'est pour lui un bénéfice narcissique. Mais elle ne lui revient pas, car elle est autre chose que son nom. b. Si la "déconstruction" se passe de lui en gardant son nom ou en choisissant un autre nom, cela peut frustrer son narcissisme. Mais cela prouve que le mouvement de pensée devient assez "libre, puissant, créateur et autonome", ce qui flatte ou augmente le dit narcissisme. c. un autre chemin, c'est que son nom disparaisse, mais en son nom. Sans blessure narcissique, Jacques Derrida fait don de son nom, sans rien demander en échange. En devenant l'intitulé d'une pensée, son nom disparaît en tant que nom. Ceux qui l'utilisent n'ont plus aucune dette à son égard (l'ingratitude de l'œuvre). Il abandonne ce nom, il leur laisse, et alors "il revient à votre nom, au secret de votre nom, de pouvoir disparaître en votre nom" écrit-il (pp32-33). Ce qui reste secret, c'est cette faculté de retrait, de disparition. Cette problématique pose la question de ce qu'il est convenu d'appeler l'"héritage" ou la "réception" de Jacques Derrida. Être fidèle au nom de Derrida, cela revient-il à faire disparaître autre chose sous ce nom ou derrière ce nom? L'essentiel serait cet autre chose, ce secret. La fidélité silencieuse à ce secret aurait pour corrélat le refus de la frontalité, cette dimension oblique dont il proclame la figure sans la définir rigoureusement. Pour Derrida, la passion, au lieu du secret, est insacrifiable. Elle ne répond pas. Ce pourquoi il garde (malgré tout) le mot éthique, cette éthique pure qu'il nomme aussi éthicité de l'éthique, ne repose pas sur une dette ou un échange, mais sur une responsabilité absolue à l'égard de ce qui ne répond pas. Son goût pour la littérature est suspendu à ce choix impossible. Ce qui suscite en lui la passion, ce n'est pas une qualité esthétique, ni une source de jouissance formelle, c'est un secret encrypté dont il ne reste rien. Devoir et responsabilité ont un sens, incompatible avec l'élévation morale ou la prétention de maîtrise des discours généraux, métalinguistiques ou méta-métaphysiques. A ce qui ne répond pas, on ne peut pas répondre avec maîtrise. Sa méfiance va très loin, puisque selon lui ni la fiction, ni l'œuvre littéraire, ni l'œuvre d'art, ni la performance (performatif au sens classique) ne peuvent se mesurer à cette impossibilité. Aucun rite, aucun action (que ce soit celle des prêtres, des victimes, des participants, des spectateurs ou des lecteurs), aucun lien social, qu'il soit religieux, philosophique ou autre, ne peut répondre à ce qui, au lieu du secret, ne répond pas. Et lui-même, dans ce texte, poursuivant un chemin qu'il a pu dire apophatique ou de théologie négative, n'y répond pas. "On a toujours, on devrait toujours avoir le droit de ne pas répondre, et cette liberté fait partie de la responsabilité même, à savoir de la liberté qu'on croit toujours devoir y associer. On doit toujours être libre de ne pas répondre à un appel ou à une invitation - et il est bon de le rappeler, de se rappeler à l'essence de cette liberté" (p42). D'un côté, il faut toujours répondre de l'urgence (répondre de soi, à l'autre, devant l'autre ou devant la loi précise-t-il), et d'un autre côté, la responsabilité doit toujours laisser ouvert un espace de non réponse. Répondre avec assurance au discours de chaque autre, ce serait présomptueux, naïf, outrecuidant. Pour le respecter dans sa logique, sa stratégie, la non-réponse apparaît comme la meilleure réponse, la plus responsable. Cela vaut pour répondre à l'autre, devant l'autre, mais aussi pour répondre de soi - car vouloir "rassembler dans une synthèse signifiante et cohérente", "signer d'un seul et même sceau", poser que le même "je" aurait "la mémoire totale et intacte" d'un "tissu systématique, homogène et subjectivable", tout cela serait prétentieux, illusoire, impossible. Que faire alors? demande Derrida, et sa réponse, qui n'est pas vraiment une réponse car c'est plutôt, comme il le dit, de l'ordre de la passion, c'est qu'il faut témoigner du secret. Non, les gestes prescrits, il ne les fera pas. Il ne répondra pas à l'appel social, religieux, philosophique, même s'il doit exposer la communauté à la disruption (elle y a d'ailleurs toujours été exposée, et c'est bien ainsi). Non, il ne jouera pas le rôle qu'on attend de lui, celui de lecteur critique de lui-même. Il témoignera de ce qui ne répond jamais, et qu'il écrit, pour marquer ce vide : "Témoignons que..." Répondre aux appels, aux invitations, ce n'est pas s'y soumettre, c'est témoigner de ce qui ne s'y dit pas. Il y a du secret, écrit Derrida. Cette affirmation, on ne peut ni la prouver, ni la démontrer. Alors que dans le second chapitre de ce texte écrit en juillet 1991, il écrivait à la première personne du singulier ("je"), il passe au pluriel ("nous"). Cette phrase n'est pas une énonciation personnelle, c'est un élément du discours. Ce discours-ci écrit-il, c'est le discours qui échappe à toute vérification sacrificielle - c'est-à-dire à l'objectivation du lien social ou du rite. C'est un discours non institué, non programmé, et pourtant général, comme l'indique sa forme et sa grammaire : "Témoignons : il y a là du secret". Je ne suis pas seul à témoigner, nous témoignons. Ce témoignage s'adresse à l'autre, il se met dans la dépendance de l'acquiescement de l'autre, sans trouver d'assurance en lui-même. Après cette première énonciation, vient l'énumération. Six fois, il reprend cette phrase affirmative, insistante, en italiques, sans jamais la justifier positivement. C'est une énumération apophatique, qui "ne relève pas ici nécessairement de la théologie négative, même s'il la rend possible". Quelque années plus tôt, en juin 1986, dans Comment ne pas parler, il s'était expliqué sur la théologie négative, et voici qu'il semble y revenir en expliquant ce que n'est pas le secret, comme si ce nom, secret, pouvait être associé au nom de Dieu. Par exemple, il n'est pas : technique, artistique, incommunicable, intransmissible, inenseignable, inimitable, psycho-physique, caché, dissimulé par un un sujet, une représentation inconsciente ou mystérieuse (qu'il faudrait démystifier), esthétique, éthique, religieux, mystique, sacré ou profane, privé, intérieur, intime, phénoménal, nouménal, partageable, ésotérique, initiatique, obscur, nocturne, invisible, etc. Impassible, intraitable, irréductible, il ne peut donner lieu à aucun procès car il ne répond pas à la parole. L'expression "non-réponse", qui pourtant est encore négative, est la seule qui puisse ouvrir à ce discours-ci une issue qu'on pourrait dire logique, même si elle implique le suspens de la responsabilité. Arrivé au septième élément de l'énumération, il s'arrête. A la place de la formule Il y a du secret, il écrit : Là il n'y a plus le temps, ni la place (p63). C'est une sorte de prétexte. En termes familiers, on dirait qu'il se défile. Contribuant à un ouvrage collectif, sur le thème : Derrida : A Critical Reader, avec 12 autres auteurs, il prétend devoir faire court, ne pas avoir assez de place. Mais ce défilement n'est pas un choix circonstanciel, c'est l'affirmation que le secret n'a pas de contenu. "Nous témoignons d'un secret sans contenu, sans contenu séparable de son expérience performative, de son tracement performatif" (p56). On ne peut que témoigner de cette expérience qui n'est même pas celle d'une trace, mais celle d'un tracement, du mouvement d'une trace qui ne laisse aucune trace. Jacques Derrida récuse la possibilité d'écrire sur lui-même. Son secret est hors d'atteinte, pour lui-même en tant que moi tout autant que pour les autres, ceux qui écrivent à partir de son texte. Ce qu'il y a de secret dans son écriture est, par structure, inaccessible à la critique et aussi à l'autocritique. C'est un secret inconditionnel dont on ne peut rien dire de frontal. Tout ce qu'il peut faire, c'est laisser opérer la structure soustractive, avant d'en venir à ce qu'il nomme une confidence (comme s'il était possible, malgré tout, de dévoiler quelque chose du secret) : ce qu'il aime dans un livre, et plus particulièrement dans la littérature, c'est le lieu du secret. C'est ce lieu de la non-réponse absolue (p66) qui est sa passion, injustifiable, inexplicable et sans contenu. On revient au septième jour biblique, celui du retrait, du repos, du droit à l'irresponsabilité. Dans certaines aires linguistiques et culturelles, le devoir est enraciné dans la dette, mais il y a toujours une certaine ambiguité, comme le montre l'étymologie du mot devoir dans les langues indo-européennes. Le devoir est un devoir-rendre, une restitution. Il faut s'acquitter d'une dette matérielle (payer son loyer, rembourser un emprunt). Mais cette obligation n'épuise ni le sens du mot, ni son étymologie. Nous "sentons", dit Derrida, qu'un devoir qui ne serait rien d'autre qu'une restitution (la conséquence d'un engagement, d'un acte, d'une faute ou d'une culpabilité) ne répondrait pas à la "moralité pure". En tant que simple moment d'un cycle économique emprunt - prêt - remboursement, ce devoir serait même a-moral, indifférent à la moralité. "La moralité pure doit excéder tous les calculs, conscients ou inconscients, toutes les visées, tous les projets de restitution ou de réappropriation. Ce même sentiment nous dit, peut-être sans rien dicter, qu'il faut aller au-delà du devoir, au moins du devoir en tant que dette : le devoir ne doit rien, il doit ne rien devoir, il devrait en tout cas ne rien devoir" (pp75-76). Telle est, selon Derrida, l'éthicité de l'éthique.
---------------------------- Formulations à partir de ce texte (les têtes de chapitre sont entre crochets) :
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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Sources DerridaBiblio 1993_PASSIO EssaiNomBD.MML YYA.1993.Derrida.JacquesGenre = - |
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