Derrida
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Sources (*) : Derrida, date et signature               Derrida, date et signature
Arno Dengerfeld - "La précarité du témoin", Ed : Galgal, 2007-2012, Page créée le 14 mars 2008

 

Double portrait des epoux Arnolfini (Jan Van Eyck, 1434) -

Pas d'autre assurance que le témoignage d'un autre

La peinture n'a pas pour fonction la représentation, mais le témoignage (Double portrait des époux Arnolfini, par Jan Van Eyck, 1434)

Pas d'autre assurance que le témoignage d'un autre
   
   
   
Peinture, fiabilité, vérité, alliance Peinture, fiabilité, vérité, alliance
                 
                       

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L'identité des époux est contestée. Il y aurait eu deux cousins Giovanni Arnolfini à cette époque, et il semble qu'aucun des deux ne se soit marié à cette date. Peut-être le tableau a-t-il été peint en mémoire d'une épouse déjà morte. Dans cette hypothèse la spéculation de Panofsky, qui l'interprétait comme une représentation d'une cérémonie privée - voire clandestine - de mariage pouvant servir de contrat, ne serait plus crédible. Mais le tableau compte plus par les commentaires qu'il a fait naître que par la scène réelle supposée, dont on n'a aucune autre trace. Rien ne prouve qu'il s'agisse d'un mariage. L'homme lève sa main droite, mais ne l'unit pas à celle de sa femme (il ne tend que la main gauche, contrairement aux usages de l'époque). Fiançailles? Tableau mémoriel? Autre genre de contrat? Autre intention mystérieuse? Quoiqu'il en soit, le peintre a signé de façon remarquable au-dessus du miroir : Johannes de eyck fuit hic 1434. Son rôle ne s'est pas limité à la peinture du tableau, il a été là. Si c'est évident, alors pourquoi le préciser? Le véritable sujet du tableau est le témoignage.

L'utilisation de la peinture à l'huile permet de rendre les détails avec une précision microscopique. Van Eyck attachait tellement d'importance au miroir convexe suspendu sur le mur du fond qu'il lui a donné une taille supérieure à ce qu'on était en mesure de faire à l'époque. Cette mise en abyme, qui a peut-être inspiré Velasquez pour les Ménines, il fallait la montrer. On y aperçoit toute la scène inversée, et aussi deux personnages dont on suppose, sans preuve, que l'un est le peintre, c'est-à-dire l'auteur de cet exploit technique et éventuellement le témoin du mariage. Selon Damisch, il est important qu'il y ait deux témoins. Nul ne peut se prévaloir du témoignage d'un seul dit le Deutéronome. Ces deux témoins se tiennent dans l'embrasure de la porte qui fait face au miroir. Dans le tableau de Velasquez, ils sont séparés.

Dans le cercle du miroir se concentrent les deux points de fuite du tableau. On peut se demander pourquoi ils ne sont pas confondus en un seul point. Cela est-il dû au manque de cohérence caractéristique de la peinture flamande ancienne, comme le croient certains spécialistes? Ou à un choix délibéré d'affirmer la différence perspective des sujets, qu'ils soient témoins ou spectateurs?

Si le spectateur s'identifie au peintre, il s'établit en position de témoin, comme le voyeur de l'expérience de Brunelleschi. Il prend place au seuil de la porte. Mais s'il refuse cette identification, alors il n'a pas de lieu propre, il ne trouve pas son lieu dans la peinture.

 

 

On est intrigué par la paire de socques qui se trouve en bas à gauche, redoublée par une seconde paire rouge devant le lit, entre les deux époux. A quoi servent-elles? Elles nous semblent aussi inutiles que les Vieux Souliers de Van Gogh! mais si rien n'est dépourvu de sens dans ce tableau, alors il faut trouver une explication. Rituel de déchaussement? Allusion au sol sacré du foyer? A une présence supplémentaire, invisible et indescriptible? Selon Panofsky, elles servent à faire foi : "Ôte tes sandales de tes pieds car le lieu que tu foules est une terre sainte" (Ex 3.5). Derrida parle d'une sacralisation de l'hymen - autre dimension de la foi.

Autre bizarrerie : il n'y a qu'une seule bougie allumée sur le lustre. Cette unique lumière supplémentaire (qui s'ajoute à celle du jour) peut être celle du mariage, mais elle peut aussi signifier que seul l'homme est encore vivant (dans l'hypothèse d'un mariage symbolique avec une femme déjà décédée). Il ne l'a pas encore accompagnée dans la tombe.

 


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