Jacques Derrida interprète la lecture que fait l'historien d'art Meyer Schapiro du texte de Heidegger, L'origine de l'oeuvre d'art. L'article de Schapiro est intitulé "La nature morte comme objet personnel" et dédicacé à un mort, Kurt Goldstein, qui lui avait autrefois fait connaître le texte de Heidegger. En faisant don de ce texte à cet homme errant qu'a été Goldstein, Schapiro pense restituer le tableau commenté par Heidegger, (dans la série des chaussures de Van Gogh, peut-être les Vieux souliers aux lacets) à Van Gogh lui-même, cet autre errant.

Schapiro répond à une injonction : il faut donner un titre au tableau, il faut raconter son histoire, il faut l'attribuer à un auteur bien défini. Il ne peut supporter l'idée que ce tableau [ou n'importe quelle oeuvre d'art] soit un pur reste, un dehors désoeuvré, hors d'usage, sans attribution. On peut comparer ce geste au sacrifice qu'a fait Van Gogh quand il a offert un morceau de son oreille à une prostituée, quelques mois plus tôt. Van Gogh se débarrasse de son oreille, il la laisse tomber, il l'abandonne sans explication ni justification.