1. Signe et sens.
Le signe appartient à l'époque du logos. Inséparable de la métaphysique et aussi de la théologie, il valorise l'intelligible. Une de ses faces est toujours tournée vers le verbe ou vers Dieu (l'idéalité du sens, la proximité de la voix), tandis que l'autre est abaissée (le sensible, le signifiant). On peut refuser le concept et tenter de se passer du mot lui-même - mais on peut aussi tenter de penser avec ce mot, en l'interrogeant.
La tradition exige que le signe soit subordonné à la logique, à une essence du langage qu'il faudrait définir préalablement. Il faut déconstruire cette subordination, dit Derrida. Un signe qui ne serait soumis à aucune logique préalable jouerait à l'infini des systèmes de différences et de substitutions. Il n'aurait pas de lieu naturel, ne serait pas focalisé sur un sens, un signifié central, une origine fixe ou un point de présence rassurante.
Le logocentrisme tend à arrêter, par un signifié transcendantal, le mouvement de la signification qui renvoie indéfiniment de signe à signe. En construisant la scène du signifiant et du signifié, il exclut ce qui vient en plus (par exemple, dans l'art, les questions du parergon, du cadre et de la signature) ou ce qui reste du texte (le hors-livre). Il faut que le signe soit subordonné au logos, qu'il s'ordonne à une idéalité invisible, à l'autorité de la parole et du regard, qu'il exprime un sens. Il faut que, derrière lui, une personne, un visage, une institution, "fasse signe" vers la vérité.
2. Dérapages.
Mais déjà, chez Rousseau, le signe linguistique supplée à la nature, à la perception immédiate. Il est le vecteur, comme toute écriture, d'une rupture de l'horizon de sens. Dans son arbitraire, il est porteur d'une hétérogénéité absolue. C'est une sépulture, un monument, un tombeau, une pyramide. Certes l'âme y est maintenue vivante comme souffle, mais le signe n'opère que par l'absence du sujet, par-delà la mort.
3. Une époque se clôt.
L'époque du signe, qui est aussi celle du livre, ne finira peut-être jamais, mais sa clôture historique se dessine. Remettre en question le signifié transcendantal, c'est déconstruire, avec le signe, tout ce qui lie notre culture, c'est "faire signe" vers un autre texte. Dans ce moment de crise, le signe perd son unité. Son hétérogénéité constitutive se révèle (l'indication se sépare de l'expression). Les figures de la croyance craquent, la voix est destituée.
L'expérience d'une dérive indéfinie des signes ouvre, à travers les vieux signes qui opèrent toujours, des questions inouïes.
Contre la soumission du signe à la parole articulée, il y a eu des révoltes - par exemple celle d'Artaud, qui refuse l'impérialisme de la lettre et voudrait revenir à un signe qui ne serait pas séparé de la force.
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