L'idée que mes idées et connaissances n'appartiennent qu'à moi, qu'elles sont invisibles et impénétrables aux autres, qu'elles produisent un livre que nul ne peut lire depuis l'extérieur, qu'elles sont enfermées en moi, dans mon cerveau plein de rêves et de représentations, tout cela est un syndrome, celui du sujet réfléchissant qui est apparu pendant l'Antiquité. Les sages et les philosophes ont été les précurseurs de l'individu des temps modernes, mais pendant la plus grande partie de l'évolution, ce que les individus pensaient et ressentaient était aussi transparent pour l'entourage que s'il le vivait lui-même. La loi de la réciprocité régnait, celle de l'oralité.

Ce sont d'abord les penseurs de nouvelles pensées qui sont devenus impénétrables à l'égard des autres. Elles se sont transmis par l'écrit, qui permet aux individus de se retirer de la société pour se compléter avec les voix des autres. Seule l'alphabétisation permet l'anachorèse. Le repli dans l'espace social vide rend possible l'idée d'un dieu qui serait le premier lecteur des pensées. Il garantit que l'ascète, dans le désert, ne va jamais sans son grand second qui l'enveloppe, l'observe, l'épie.