Artaud, par ses dessins, ne fait pas de l'art, mais fabrique des objets cultuels à la façon des statues africaines, des objets magiques capables de parler et de jeter des sorts. Il n'a pas besoin de détruire l'art, comme les dadaïstes. Il fait le constat que, puisque l'art est muet, ce qu'il fait n'est pas de l'art. Il ne vise pas le réel, mais la vérité, et l'on n'accède à cette vérité là que par la voix.

Dans ce dessin, des formes larvaires, indécises, occupent quasiment tout l'espace. A gauche, un élément vertical apporte une ébauche de structure. Les autres éléments se déploient dans la zone située entre le tronc et les inscriptions. Il ne faut pas laisser de place vide, il faut tout noircir par le dessin ou par l'écriture. Rien ne doit rester immobile, mais les éléments ne sont pas la cause du mouvement. Ils flottent, poussés par des vagues invisibles. Ce sont - de l'avis même d'Artaud - des subjectiles. Ce qu'ils produisent est imprévisible.

Selon Jacques Derrida (ALM, pp37-8), la phrase du bas "non pas de l'art, mais de la ra-tée du Soudan et du Dahomey" interprète la sentence du haut "Jamais réel et toujours vrai". Qu'est-ce qui n'est jamais réel et toujours vrai? Peut-être le sort, la magie, l'exorcisme auxquels il est fait allusion dans le dessin - mais peut-être aussi l'art, cette ra-tée maladroite à laquelle Artaud recourt sous le mode du dessin.

Texte écrit sur ce dessin de janvier 1945 : "Jamais réel et toujours vrai, non pas de l'art, mais de la ra-tée du Soudan et du Dahomey".