Artaud conduit à distinguer entre deux sortes de voix : 1. la voix phonétique, celle du logos, qui met en ordre les systèmes; 2. la voix d'avant la naissance, celle de Khôra, celle du surgissement d'une force qui précède le langage et se laisse rythmer par le le souffle. Cette force est celle du théatre selon Artaud (le théatre de la cruauté). C'est aussi celle du pictogramme, une oeuvre qui n'en est pas une, qui rejette les signes, le sens, la représentation et met en mouvement la peinture et l'écriture par le timbre ou l'intonation. Cette oeuvre, il faut l'entendre. J'entends les peintres dit-il. Il a entendu Van Gogh, Chagall, Picasso et Lucas Van den Leyden. Il dessine avec sa gorge, sa bouche et sa langue, et remplit ses dessins de phonèmes et de glossèmes. Quand l'oeuvre surgit, la langue y résonne, avec son ton et son timbre. C'est une langue en mouvement qui projette des missiles, bombarde, jette des mots dans la peinture. Il faut que l'oeuvre soit sonore, gestuelle, il faut qu'elle perfore, percute, qu'elle pénètre l'oreille et l'esprit pour les émouvoir. La voix est une force de destruction. Elle déchire la surface ou le support (le subjectile), elle dévoile une vérité, elle agit comme un sort ou un envoûtement.
Cette voix, qui appartient encore à la chair, ne peut être proférée qu'une fois. Si elle se répétait, elle entrerait dans un système, ce qu'Artaud ne supporterait pas : ce serait un vol, une expropriation.
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