L'utopie de l'art s'est formée en même temps que celle de la citoyenneté. Ce n'est pas un hasard si la Critique du jugement de Kant a été publiée en 1790, dans la perspective du projet égalitaire des Lumières, après qu'un espace public des amateurs d'art ait été mis en place. Pour que le système des Beaux-Arts émerge, il faut un public capable de débattre et de légiférer sur le goût. Comme l'explique Kant, le jugement de goût n'est pas un jugement de connaissance, c'est un état d'âme présent dans tout homme, quel que soit son niveau de connaissance, de par la nature de ses facultés et de leur libre jeu. Cet état d'âme singulier peut être communiqué universellement.

L'utopie de l'art suppose une communauté universelle de la culture. Elle peut déboucher sur la propagande (David en 1793) ou sur l'éducation du peuple. Elle garantit l'unité du monde humain et sa sociabilité. L'art pour l'art pose la question de la communication démocratique plus que celle de la transfiguration du social. Cette communication importe plus pour Kant que les oeuvres elles-mêmes, dont il ne parle pas. C'est elle qui légitime l'espace public sur lequel l'art contemporain continuera de s'appuyer. Mais dès le 19ème siècle, elle apparaîtra comme une illusion ou un mythe, et entrera en conflit avec la démocratie elle-même, qui mettra en question la notion d'une communauté de goût.