Contrairement à son frère Léo, attaché à l'histoire de l'art, Gertrude Stein s'intéressait à l'art qui se fait et non pas à celui qui poursuit les traditions. Pour réaliser son célèbre portrait, Picasso l'a fait poser 80 ou 90 fois; mais il a fallu qu'il retourne en Espagne, qu'il s'inspire du style pré-romain de la sculpture ibérique, pour l'achever. La jeune américaine souriante était métamorphosée en une femme d'un âge indéterminé, avec des trous à la place des yeux. Comme Gertrude n'appréciait pas ce masque, Picasso répondit : "C'est pas grave, ça viendra". Le portrait ne la montrait pas comme elle était, mais comme elle allait devenir.

Gertrude Stein était un nouveau genre d'américain à Paris. Elle n'était pas là pour absorber la culture, mais pour y contribuer. Elle savait qu'une révolution était en cours, et elle voulait y participer. Selon elle, le cubisme trouvait son origine dans le portrait que Picasso avait fait d'elle.

Ce portrait a été réalisé à la charnière des périodes bleue et rose - mais il n'est d'aucune période. De même qu'il anticipe le vieillissement de Gertrude Stein, il anticipe les masques qui, l'année suivante, prépareront les Demoiselles d'Avignon.