Quand l'autre est mort, quand plus rien ne peut venir de lui au présent, il laisse en nous cette mémoire qui est une expérience terrible de la solitude. Nous sommes inconsolables et nous pleurons. Déjà, avant sa mort, si cet être a pu être en nous, c'était à cause de la possibilité de sa mort. Le deuil était possible, nous pouvions prendre en nous, intérioriser, son corps et sa voix, son visage et sa personne. Mais dès lors que son absence est irrévocable, il reste en-dehors de nous. Les signes, symboles, images par lesquelles des parties de lui le représentaient sont insuffisantes. Cet autre est plus grand que les possibilités de notre mémoire, sa trace excède les représentations, il résiste à la clôture, et pourtant il faut que nous nous en souvenions. C'est aussi fatal qu'invivable.

Notre moi est trop limité pour l'abriter. Défiant la logique simple de la théorie des ensembles selon laquelle le tout doit être plus grand que la partie, il est dans notre mémoire, mais il l'excède. Il est une partie plus grande que le tout. Pour penser cela, il faut une allégorie (au sens de Paul de Man) ou d'autres figures de rhétorique (prosopopée, métonymie élégiaque), une autre temporalité qui défie la réappropriation.