Le Démiurge de Platon ordonne le monde à l'image des Idées. Mais il ne contrôle pas sa genèse. Des pertes se produisent, des déséquilibres s'introduisent dans les proportions, et finalement le monde ne ressemble pas à son modèle. Ce dieu qui se croyait tout-puissant - et l'était - se manifeste comme désoeuvré et impuissant. Dans son embarras, il renonce, il abandonne, il délègue. Lui-même ne prend qu'un engagement : il ne voudra jamais l'anéantir. S'il promet de faire tout son possible pour que le monde rejoigne son modèle à l'infini, c'est parce qu'il sait qu'il n'est pas en mesure d'effacer le risque de sa dissolution. Il renonce à son pouvoir producteur, il se décharge de toute responsabilité vis-à-vis du monde, et introduit en même temps un principe de mort ou de sacrifice dont il est lui-même le sujet et l'objet.

Le Démiurge confie le soin de tenir cette promesse à la race humaine. C'est elle qui devra apprendre, parler, penser, philosopher, et aussi mourir. L'âme humaine était irréductiblement attachée à un corps mortel, le Démiurge fait l'épreuve de sa propre mort symbolique. Il fait du monde un sanctuaire (agalma) à la mémoire et en l'honneur des dieux immortels.