Hannah Arendt est restée, jusqu'à la fin de ses jours, indéfectiblement attachée à sa langue maternelle. Contrairement à d'autres Juifs allemands, elle a refusé l'exil linguistique. Cette langue, pour elle, restait encore et toujours là. Elle était irremplaçable - comme la mère. Mais cela ne l'empêchait pas d'avouer son trouble devant le déchaînement linguistique du nazisme. Dans un entretien à la radio allemande, elle s'est exclamée : Ce n'est tout de même pas la langue allemande qui est devenue folle! Mais ce n'était qu'une dénégation. Elle cherchait à se rassurer, mais il lui fallait bien admettre qu'une langue pouvait devenir folle - comme une mère. Quand les Allemands sont devenus diaboliques, frénétiques, pervers, quand ils ont été saisis par le mal absolu, ils ont perdu la raison. La langue n'était pas pour eux un instrument neutre et extérieur, elles n'était pas qu'un outil. Les citoyens étaient fous dans une langue folle. Le sens commun était perverti. La langue n'était pas exclue du nazisme.