Pour Heidegger qui évoque ce sujet dans son séminaire de 1942-43 sur Parménide, la main authentique est celle de l'artisan. Elle seule peut écrire. Taper à la machine, c'est s'attaquer à l'intégrité du mot, c'est détruire son unité, c'est le remplacer par une copie. L'écriture manuscrite est proche de la voix et du corps propre. Elle lie les lettres, elle préserve et rassemble. Elle garde l'être, la parole, en maintenant caché ce qui doit l'être. En dégradant le mot, la machine dégrade la parole et la réduit à un instrument, un simple moyen de transport et de communication. Retirer la main, c'est retirer le signe et le sens. On reconnaît dans cet argumentaire le logocentrisme classique : seuls la main, le mot, la parole, dans leur immédiateté, permet de penser le présent dans la présence.

Mais selon Jacques Derrida, ce retrait de la main, qui manifeste l'essence de l'écriture, se produit dans un cas comme dans l'autre. En elle-même, l'écriture est insignifiante, a-signifiante. Protester contre la machine à écrire, c'est l'interpréter à partir d'une identification de la technique moderne et du mal.