Derrida
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de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida contresigne, l'oeuvre de l'autre                     Derrida contresigne, l'oeuvre de l'autre
Sources (*) : Le corpus derridien : ce qui ne répond pas               Le corpus derridien : ce qui ne répond pas
Jacques Derrida - "Scène des différences - Où la philosophie et la poétique, indissociables, font événement d'écriture", Ed : Galilée, 1996, pp17-8 Orlolivre : comment ne pas avoir lieu?

[Pour jouir de l'oeuvre de l'autre, il faut être fidèle à ce qui arrive, en contresigner l'événement]

Orlolivre : comment ne pas avoir lieu?
   
   
   
Derrida : une voix qui ne s'efface pas Derrida : une voix qui ne s'efface pas
                 
                       

1. L'oeuvre, acte ou événement.

Interrogé en 1996 sur ce qui fait la continuité de son travail depuis les années 1960, par rapport au structuralisme, Jacques Derrida répond :

" L'attitude structurelle et le moment structuraliste ont été à mes yeux des moments féconds, je n'ai jamais voulu contester cela, [mais] la simple posture structurale manque cette force de frayage de la langue et de ce que vous appelez des événements d'écriture. Au fond, c'est cela, toujours, qui m'a le plus intéressé. D'où, naturellement, le recours à des oeuvres de type littéraire, ou poétique, dans les moments les plus décisifs de mon travail" (Entretien entre Jacques Derrida et Mireille Calle-Gruber intitulé « Où la philosophie et la poétique, indissociables, font événement d'écriture », p17).

Pour expérimenter la force de frayage qui est pour lui essentielle, il préfère avoir recours aux oeuvres, littéraires ou poétiques, plutôt qu'aux théories philosophiques, mêmes celles qui sont influencées par la déconstruction. L'oeuvre lui est donnée, il en hérite, il en a la garde et la responsabilité, et aussi, dit-il, la jouissance. Qu'elle prenne la forme d'un livre entier ou d'une simple phrase [voire d'une image ou d'un film, pourrait-on ajouter], « je jubile de la rencontrer » (écrit Derrida), je m'intéresse à sa puissance performative.

Quel que soit le style ou le genre dans lequel il est impliqué, Derrida pense l'événement d'écriture comme acte de langage. Il ne s'éloigne jamais de la structure performative - «un des concepts les plus féconds du 20ème siècle» , dit-il (p17) - même s'il s'en méfie, même si l'affinité des théories austiniennes avec une pensée de la présence l'inquiète.

"Quant à ce que vous appelez "performatif", c'est, en effet, ce qui, peu à peu, et souvent sous ce nom-là, s'est imposé à moi pour désigner des actes, des oeuvres, des inventions d'écriture dans la langue qui font changer les choses; qui instituent; qui inaugurent" (ibid, p17).

Cette fascination pour la littérature est liée à certains traits qui lui sont attribués : le droit de tout dire, le droit (s'il s'agit de fiction) de publier n'importe quoi, l'autonomie et l'indépendance à l'égard de l'Etat. Ce droit, pour Derrida, est un principe inconditionnel, et l'on peut penser que c'est cette inconditionnalité qui l'attire, c'est cette inconditionnalité qui produit cette jubilation, cette jouissance.

"C'est cette double requête, d'une part l'exigence philosophique d'avoir la liberté inconditionnelle de dire tout ce qui doit être dit, d'autre part l'exigence littéraire de dire tout ce que l'on veut sans aucune espèce de censure, une émancipation à l'égard de la censure, c'est cela qui me paraît réunir dans l'histoire le projet littéraire et le projet philosophique" (ibid p24).

Derrida associe lui-même cette inconditionnalité à ce qu'il appelle une "exigence". "Il faut" s'intéresser aux oeuvres, c'est un impératif, un commandement.

"Mais il y a là une Idée, ou plutôt, pour ne pas trop formuler cela dans une langue kantienne, une exigence, une urgence, une injonction immédiate (ici, maintenant), qui s'annonce comme telle : c'est cela qui m'intéresse. Cette exigence donne lieu à des oeuvres littéraires, des romans, de la poésie, du récit, ou à des oeuvres de type philosophique. Ce qu'elles ont en commun, c'est qu'elles passent par des événements, des écritures de langues" (p24).

Mais d'où vient ce commandement?

 

2. Dans l'oeuvre, c'est l'autre qui jubile.

"J'essaie de penser la langue dans laquelle j'écris et, aussi bien, les oeuvres singulières des autres telles qu'elles se produisent dans une langue, de façon fidèle; c'est-à-dire en essayant de me rendre à ce qui est arrivé avant moi - tout comme la langue est avant moi, l'oeuvre de l'autre est avant moi - et de contresigner ces événements. La contresignature est elle-même un performatif, un autre performatif : c'est un performatif de la grâce rendue à la langue ou à l'oeuvre de l'autre" (ibid. p18).

L'écriture derridienne est sans cesse inquiétée par l'autre. Quand il écrit, il cherche souvent à donner l'illusion d'un dialogue ou d'un polylogue. Ne pouvant pas parler uniquement en son nom propre, comme une instance unique, il met en scène des voix qui se disputent la parole. Il n'ignore pas que son texte est un monologue (je n'ai qu'une langue, dit-il), mais il n'ignore pas non plus que tout ne peut pas s'y rassembler (mais ce n'est pas la mienne). Comment peut-il donner lieu à la voix de l'autre dans l'oeuvre qu'il signe de son nom? Comment pourrait-il trouver le ton juste, alors que l'autre auquel il voudrait s'accorder lui est inconnu? Pour le laisser parler, lui donner la parole, il faut trouver la bonne posture, l'attitude juste. celle qui tient compte du fait que lui non plus n'est pas unique. L'oeuvre s'adresse à cet autre qui est multiple, qui est plus d'un et plus d'une. Elle est conditionnée par son regard, son corps ou sa voix, qui se dérobent à la vue ou à l'écoute. Quand il arrive qu'elle s'y accorde, ce n'est pas dans le sens d'une harmonie, mais dans celui d'une trace qui, par une présentation, un geste, une intonation ou un rythme, ménage la place d'une effraction.

Jacques Derrida associe cette effraction à la jubilation qu'il éprouve à lire les oeuvres des autres. S'il jouit de l'oeuvre, c'est comme la chose de l'autre (p20). S'il jubile, c'est grâce au don qui lui est fait par l'autre. Rencontrer l'oeuvre, c'est faire don d'un plaisir soit au signataire, soit à l'autre lecteur (qui va lire l'interprétation), mais il ne faut surtout pas que le plaisir narcissique domine. Pourquoi? Parce qu'alors, ce ne serait plus l'oeuvre de l'autre, il y aurait appropriation. Pour contresigner une oeuvre, pour la faire survivre, il faut laisser signer l'autre. C'est une responsabilité, et en même temps l'aveu d'une irresponsabilité.

 

 

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Propositions

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Une oeuvre fait oeuvre par un don qui vous change de part en part, tout en faisant oublier le donné, le donateur et même l'acte du don

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Chaque oeuvre d'Adami est une scène; le dessin s'arrête au moment où va se produire un événement, un drame

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Dans l'écriture, le plus difficile est l'adresse : accorder le ton à l'autre, dans la multiplicité de ses voix

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La vision de l'oeuvre est conditionnée par le regard ou la voix d'un autre, spectateur supposé qui est, lui, dérobé à la vue

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L'oeuvre est un événement abandonné, une signature perdue qui ménage l'effraction nécessaire à la venue de l'autre

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N'importe qui a "droit de regard" sur une oeuvre : il peut lui prêter des voix, l'interpréter, la développer, en raconter la perspective

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Une oeuvre d'art préserve un fonds indéterminé, un espace vide où la différence, tremblante, est mise en mouvement

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Une oeuvre peut être vue comme événement d'auto-affection de la scène primitive

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Jacques Derrida voyage toujours avec Heidegger c'est-à-dire contre lui, du côté de son contre-exemple ou de sa contre-partie

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Il faut lutter pour faire survivre les oeuvres en fonction de leur force, leur nécessité, leur génialité, leur inventivité productive, dans un espace public ouvert au-delà de l'espace national

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Ce qui spécifie l'oeuvre moderne (littéraire, poétique ou philosophique) est le droit de tout dire - ou de dire n'importe quoi

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