Pour Jean-François Lyotard, la fonction du cinéma courant, qu'il soit ou non destiné au "grand public", est avant tout une mise en ordre, une mise en scène du mouvement. Il doit éliminer tout ce qui est mal cadré, non reconnaissable, tout ce qui nuit à l'impression de réalité et à la compréhension du récit. Pour ce travail d'écriture, les éléments excédentaires apparaissent comme des rushes, des chutes dont il faut se débarrasser. Pour que le film soit fécond (au sens de la rentabilité du capital), il faut qu'il contienne des éléments répétitifs qui se rassemblent en un ensemble, un récit (diégèse). Il faut impliquer le corps tout entier en subordonnant les mouvements partiels. S'il restait désordonné, le mouvement ne pourrait pas s'échanger. Il serait brûlé en vain.
Mais, selon Lyotard, ce n'est pas la représentation qui fait l'oeuvre d'art, c'est la dépense inappréciable et sans prix. Si la graphie du mouvement n'est pas soumise à une économie, mais portée aux extrêmes, si le film joue soit avec l'immobilité, soit avec l'excès de mouvement, alors on peut parler d'acinéma. L'acinéma est excessif : trop de présence, trop de "dissimilitude". Il produit des affects : stupéfaction, colère, haine, terreur, jouissance. A un extrême (l'immobilité de l'objet), le mouvement s'arrête, il se détache de la représentation, s'épuise et se pétrifie dans le fantasme, ce qui déclenche un certain mode de la jouissance. A l'autre extrême (le mouvement de la pellicule), c'est le sujet qui doit restreindre sa perception à certaines de ses pulsions. Dans les deux cas, on ne s'appuie ni sur la mémoire, ni sur la reconnaissance, ni sur l'identification par lesquelles le cinéma entretient l'ordre social.
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