Une puissante machine de lecture s'est construite autour du nom de James Joyce. C'est une institution singulière, intimidante, où travaillent des experts à la compétence reconnue. Ils contresignent et authentifient le nom de Joyce, ils le glorifient. Joyce a anticipé, il a programmé cette institution. Il l'a rendue nécessaire. Mais de même que Yhvh, qui a créé le monde de la tour de Babel, décide d'en conjurer la menace en confondant les langues, Joyce mine le concept même de compétence, il fait en sorte qu'aucun texte, aucun savoir, aucune expertise, ne puisse fonder la légitimité de cette tour de Babel qu'il a écrite. Il multiplie les ruses et les figures pour que les filiations légitimes soient mises en dérive, pour que les rencontres apparaissent comme aléatoires - ce qui ne les empêche pas d'être toujours ressaisies par la loi, le sens et le programme.

D'autres auteurs ont réussi à susciter derrière eux une chaîne interminable de transfert, de tradition et de traduction : Homère, Platon, Hegel, Shakespeare, Dante ou Vico. Mais le projet de Joyce est calculé, déclaré. Il est réglé sur un certain type d'institution : une communauté mondiale de recherche et de commémoration qui fait appel à tous les champs mobilisés par l'université : littérature, science, psychanalyse, linguistique, etc... On ne peut rien inventer à son sujet, car tout est déjà annoncé et même raconté, tout est déjà, d'avance, signé du nom de Joyce.

Le paradoxe, c'est que cette stratégie conduit à un affect, un pathos insurmontable : le rire. Elle réussit à ruiner le modèle même de l'université - ce modèle que par ailleurs elle appelle.