La littérature au sens moderne apparaît avec les Lumières et la démocratie. C'est le moment où l'on est autorisé à tout dire. Il ne faut céder à aucune censure. Il n'y a ni loi extérieure susceptible de limiter ce devoir, ni loi particulière à l'abri de la critique. L'écrivain n'est responsable devant personne, il n'a de comptes à rendre à aucune institution.

Dans cette situation, l'écrivain n'est pourtant pas hors-la-loi. Il est irresponsable devant les autorités, mais il n'est pas sans responsabilité. Une loi au-dessus de la loi s'impose à lui. Jacques Derrida appelle cela l'instance éthique. Il ne faut pas confondre cette instance avec une morale ou une éthique, si l'on entend par ces mots un systèmes de règles établies ou à établir. L'écrivain s'explique avec la loi. C'est un défi pour lui, un engagement qui peut passer par la transgression. Son souci est éthique. Il en répond, il signe de son nom, mais ce peut être pour récuser la loi. S'il a le droit de tout dire, c'est pour s'expliquer avec la loi qui le lie au langage. C'est son oeuvre qu'il travaille au corps, c'est pour elle qu'il prend des risques, c'est à elle qu'il rend des comptes. C'est ainsi qu'agit un auteur comme Francis Ponge, dans la mesure où il ne reconnaît que la loi de la chose. Il répond à la requête de l'éthique, sans produire une éthique.