On peut représenter l'espace métaphorique comme une gigantesque bibliothèque où nous nous déplaçons, nous circulons, nous cheminons, avec ses trajets, ses croisements, ses interdits, ses limitations et ses prescriptions. En habitant cette bibliothèque, nous nous faisons et nous laissons transporter [en grec moderne, metaphorikos désigne les moyens de transport]. Au moment même où nous nous croyons locuteurs, sujets de l'énoncé, où nous pensons orienter et conduire la métaphore, c'est nous qui sommes embarqués, emportés, déplacés. C'est nous qui dérivons, flottons, dérapons d'écart en écart.

Le théoricien de la rhétorique, le philosophe, l'enseignant qui traite de la métaphore, ne peut penser sans elle. Il ne peut rien dire sur elle sans parler more metaphorico. "Je ne peux en traiter sans traiter avec elle (...) Je n'arrive pas à produire un traité de la métaphore qui ne soit traité avec la métaphore qui du coup paraît intraitable".

On ne peut pas interrompre la dérive ou le dérapage métaphorique. Vouloir en stopper la mécanique, c'est s'y abandonner encore plus, c'est la laisser déborder toute limite.