En repoussant cet "autre" qu'est la folie du côté du corps, Descartes semble dans un premier temps mettre le cogito à l'abri de ses extravagances. Mais la folie n'est pas seulement corporelle ou naturelle [elle n'est pas substantiellement de l'ordre de l'étendue ou de l'imagination, comme la perception ou le rêve], elle peut être aussi du côté de la pensée ou de l'arithmétique (si le Malin Génie me fait croire que deux et deux font cinq), et c'est devant cette menace-là qu'il faut se mettre à l'abri. Une folie totale, absolue, affectant l'intellect, doit absolument être exclue du discours, elle doit être écartée du langage pour que le sens reste intelligible. C'est une nécessité d'essence universelle qui ouvre l'historicité. Mais pour que cette coupure ait lieu, il faut qu'une part de silence irréductible continue à hanter le langage (ce que Foucault appelle l'absence d'oeuvre). Il faut un interdit contre lequel le langage normal peut surgir. Il faut donc qu'on puisse, en droit, laisser dans la pensée la possibilité de la folie. C'est la plus grande audace de Descartes. Tout en prenant ses distances avec la folie de fait, il admet que la connaissance ne puisse jamais complètement objectiver et maîtriser la folie. Cela ne met pas en cause le Cogito, car J'existe, même si je suis fou.