L'archive, selon Derrida, est gardée par des archontes qui l'institutionnalisent, la consignent, l'idéalisent, l'interprètent, instaurent des limites qu'ils déclarent infranchissables, par exemple entre le public et le privé ou entre le secret et le non-secret (ce qui n'est pas la même chose). En déconstruisant ces limites, Freud a contribué à déconstruire la topo-nomologie de l'archive (son lieu, sa loi). Mais dans ce travail, cette mise en ordre, qu'est-ce qui relève pour Freud de l'oeuvre théorique, et qu'est-ce qui relève de l'anamnèse personnelle? Peut-on séparer la conceptualisation de la biographie ou de l'autobiographie?

Parlant à Londres, où se trouve la dernière maison privée de Freud, Jacques Derrida, d'une certaine façon, prend le relais. La maison est devenue musée, le privé est passé au public [mais le secret est resté hétérogène]. Ce sont des archives qui y sont désormais montrées, et la psychanalyse est entièrement archivée. Le nom de Freud est-il devenu celui d'un archonte? Son oeuvre dit-elle la loi, comme les archives des archontes grecs? S'est-elle institutionnalisée? Peut-être pas. Peut-être la psychanalyse contribue-t-elle encore à déconstruire le principe même de l'archive - celui du concept-, peut-être en secoue-t-elle encore les règles - ou peut-être est-elle dans un entre-deux [entre institutionnalisation et déconstruction].

En tous cas l'impression freudienne est inoubliable. Il est impossible de l'effacer.