C'est la civilisation qui nous fournit de quoi nous protéger contre la souffrance; et pourtant nombreux sont ceux qui sont hostiles à la civilisation. Certains veulent revenir à la nature, d'autres constatent que les avantages du progrès technique ont pour contrepartie des inconvénients. Par beaucoup d'aspects l'homme contemporain ressemble à un Dieu, mais il ne se sent pas heureux.

Des principes comme la beauté, l'ordre ou la propreté restent inséparables des pulsions auxquelles il a fallu renoncer pour y accéder. Par exemple, pour accéder à la propreté, il faut refouler l'érotique anale de l'enfant - ce qui conduit à ce qu'on appelle justement le caractère anal, marqué par la parcimonie et le sens de l'ordre. Pour accéder à la vie en société, il faut cesser de diriger son amour uniquement sur un objet sexuel, et l'étendre à tous les êtres humains. La vie en commun n'a plus grande ressemblance avec l'amour génital dont elle est pourtant dérivée. L'amour entre frères et soeurs prend la forme de tendresse, c'est-à-dire une pulsion [sexuelle] inhibée quant aux buts. Il faut que la culture retire à la sexualité une grande part de son énergie pour se l'attribuer. On tend à enfermer le sexe dans la famille, à dénoncer comme perverses les relations extra-génitales ou non dirigées vers le sexe opposé. On fait tout pour affaiblir la sexualité comme source autonome de plaisir. Mais ces contraintes se révèlent impraticables - et ce sont les névroses qui se multiplient.

A l'époque où Freud écrivait, cette carte postale (entre beaucoup d'autres) était diffusée.