Concernant le toucher, on peut dire qu'Aristote a tout prévu. Faisons confiance à Jacques Derrida qui discerne dans le texte d'Aristote quatre apories (indépassables selon lui). Ces apories tiennent toutes quatre à l'unité de sens de ce mot : le toucher. On ne peut ni les franchir, ni en venir à bout : il faut faire avec elles.

- Y a-t-il plusieurs sens du toucher ou un seul? Quel est son organe? Est-ce la chair, en tant que milieu intermédiaire, ou y a-t-il un autre organe spécifique du toucher, un organe interne?

- Les oppositions engagées dans le toucher sont multiples (chaud/froid, sec/humide, dur/mou, etc...). Quel est le sensible unique sous-jacent à cette multiplicité? Quelle est la chose unique qui est le substrat du toucher? Y en a-t-il un? Ce n'est pas clair, en tous cas beaucoup moins clair que pour l'ouïe ou la vue.

- La sensation naît en même que le contact, mais les organes sensoriels sont distincts des milieux où se propage le mouvement.

- Tous les sens s'exercent-ils de la même façon, ou certains ont-ils des modes d'action particulier? Selon l'opinion commune (la doxa), le goût et le toucher s'exercent par contact, tandis que les trois autres sens s'exercent à distance. Mais pour ce qui concerne le toucher, on peut s'écarter de cette opinion et supposer l'existence d'un milieu capable de servir d'intermédiaire [un milieu autre, extérieur, qui ouvrirait - selon Derrida - la possibilité d'une auto-affection].

Tout cela conduit à avancer à tâtons, entre des mots dont on ne connaît pas le sens exact (esprit, âme, corps, sens, les sens, le monde, etc...), et une expérience aux multiples définitions.

Traduction du Livre II, chapitre 11 du "De l'âme" d'Aristote, intitulé "Le toucher et le tangible"