Partant de la Critique du jugement de Kant, Hannah Arendt s'attache à démontrer que le goût est une faculté spécifiquement politique. En effet le jugement impose de voir les choses dans la perspective de tous ceux qui sont présents. Le sens commun (ou bon sens) nous révèle que, bien que nos sens soient privés ou subjectifs, nous avons le monde en commun et le partageons avec autrui. Kant réagissait à l'adage "Des goûts et des couleurs, on ne discute pas" en observant qu'au contraire la beauté avait un caractère public et était soumise à la discussion. Quand nous prenons plaisir à la contemplation d'un objet, nous espérons partager ce plaisir avec autrui. Notre décision est subjective, "désintéressée". Il nous est impossible de contraindre autrui à la partager, mais rien ne nous empêche d'échanger des opinions et de prendre position sur le genre de choses qui doivent apparaître dans l'espace public.

Ranger le goût dans les facultés politiques de l'homme semble étrange. Et pourtant les affinités les plus immédiates sont celles qui concernent les goûts et les dégoûts. Dans ces jugements communs, nous impliquons plus que les choses. Nous impliquons notre être, notre qualité personnelle en tant qu'elle est au-delà de la vérité et du jugement. C'est ce qui lui donne son caractère humaniste.