Jacques Derrida parle des deux hospitalités; il ne parle pas d'une hospitalité double. On ne passe de l'une à l'autre que par un saut, un passage, une transcendance.

- d'un côté (l'hospitalité courante, usuelle, conditionnelle), il y a le savoir, le pouvoir, le politique, le juridique, la norme, la règle et même l'éthique : tout ce qui se décide et s'institutionnalise. Lorsque l'autre se présente, il faut bien que je me détermine par rapport à lui - et si je lui donne quelque chose, que ce soit quelque chose de déterminé. Ce genre de don peut être régulé par des lois, des rites ou des conventions.

- d'un autre côté (l'hospitalité pure, absolue, inconditionnelle), il s'agit d'un principe, d'une pensée, d'un événement digne de ce nom, mais impossible à vivre. Je m'expose à l'autre tel qu'il se présente, sans rien attendre de lui ni lui donner quoi que ce soit que j'aurais prévu à l'avance [car si je l'avais fait, je lui aurais imposé mes normes]. Il faut cette indétermination de principe pour que l'autre soit un autre et que le don soit possible.

Ces deux concepts d'hospitalité, qui sont hétérogènes, sont aussi indissociables. A chaque fois qu'un compromis est trouvé, c'est une transaction unique, un événement qui se situe entre les deux hospitalités [entre les deux, c'est-à-dire sans supprimer l'écart qui les sépare].

Cet enfant, âgé de 15 ans, avait été engagé par Edouard Manet pour laver ses brosses. Il a été retrouvé pendu dans son atelier. Impressionné par ce suicide, Manet a déménagé pour un autre local. Plus tard, Baudelaire, inspiré par cet épisode, écrira un poème : La Corde, dédié à Manet.