Contre toute l'histoire de l'Occident, contre sa métaphysique - et aussi contre le féminisme, Derrida récuse une certaine pensée du lieu et de la place (cf Eperons). Il ne peut pas y avoir d'"esthétique féminine" si aucune valeur ou affect ne peut être attachée au masculin ou au féminin. Dans cette perspective, les tentatives des femmes pour se réapproprier leur corps à l'encontre du voyeurisme ou du scoptophilisme de la tradition picturale occidentale [masculine, phallogocentrique] - c'est-à-dire l'espoir de rendre le corps féminin propre, lavé de cette souillure sémantique (et désirante), un tel espoir ne pourrait que restaurer la logique "oppositionnelle" de la tradition (avec son vieux rêve de réappropriation, de libération, d'autonomie, de maîtrise, cf Chorégraphies in Points de suspension).

Dans son interprétation des lavis de Colette Deblé, Jacques Derrida ne va pas dans cette direction. Il insiste au contraire sur le silence que commandent ces figures qui citent d'autres figures, sur la singularité de ces corps dépourvus de vérité, qui regardent dehors et dedans, tremblants, troubles, vulnérables, flottants, dans une traversée déroutante de l'histoire de la peinture. [On ne restaurera pas le corps de la femme dans son "authenticité", car une telle "authenticité" n'existe pas].