Les Juifs ont la réputation d'être un peuple attaché à l'histoire, qui a toujours voulu préserver et transmettre une mémoire particulièrement tenace. Mais quelle mémoire? Pour comprendre ce dont il s'agit, il faut faire preuve de distanciation historique, car cette mémoire est très différente de la nôtre. Elle passe par une littérature juive qui n'a aucun souci des événements historiques, à la différence de l'historiographie (moderne), qui est l'écriture de l'histoire comme discipline avec ses règles, ses institutions et ses procédures.

Les sociétés primitives ne s'intéressaient qu'au temps mythique, celui des commencements primordiaux et des premiers actes paradigmatiques. Le présent historique n'avait guère de valeur autonome. On répétait des rituels, on récitait et on réactualisait les mythes, on revivait dans le rêve le temps des origines. Les grandes civilisations de l'Antiquité ne procédaient pas différemment, et certaines cultures d'extrême-Orient tiennent jusqu'à aujourd'hui le temps et l'histoire pour des illusions. Même les Grecs, après Hérodote, se contentaient de célébrer certaines grandes actions, sans disposer d'aucun concept d'histoire universelle, et sans jamais intégrer l'histoire dans la religion ni dans la philosophie.

Israël a été la première tradition à donner sens à l'histoire. Souviens-toi! est l'un des impératifs de la bible hébraïque.