Jacques Derrida généralise la posture de Yosef Hayim Yerushalmi dans son livre Le Moïse de Freud, Judaïsme terminable et interminable. Après avoir examiné et analysé les documents à la manière du philologue ou du scientifique [qu'il était], Yerushalmi décide de s'adresser directement à Freud - ou plus exactement à son spectre - dans un Monologue où il ne se positionne plus comme expert, mais en son propre nom, avec tout ce que cela implique de fidélités partagées ou non avec Freud.

Consulter une archive, c'est s'adresser à un mort. L'objet d'étude (le corpus) n'est plus séparé de l'interprétation. Une discussion s'ouvre avec ce spectre, dont les règles ne sont pas celles de la science mais [en l'occurrence], celles de la psychanalyse et du Talmud. L'historien n'est pas extérieur au débat, il s'y engage personnellement. Il n'interroge pas au sujet du passé, mais à partir d'une réponse pour demain, d'une messianicité qui travaille l'archive et aussi le concept d'archive. L'homme de science ne croit pas aux fantômes, mais Yerushalmi y croit (comme Hamlet), il avoue qu'il leur parle. L'effet d'archive, c'est qu'on ne peut pas faire autrement que d'y croire. Non seulement Yerushalmi s'adresse au Freud âgé qui a écrit L'homme Moïse, mais il s'adresse aussi au nouveau-né circoncis et au jeune psychiatre ambitieux de 35 ans qui a reçu de son père le cadeau d'une bible dédicacée; →

→ non seulement il leur parle, mais il s'adresse à eux d'une voix spectrale, celle du patriarche Jakob.