Dans la deuxième moitié d'un siècle où la tradition de l'absorbement est restée dominante chez les artistes (par exemple Jean-François Millet) et surtout les critiques, les jeunes peintres de la génération de 1863 (Manet, Legros, Whistler, Fantin-Latour) cherchent d'autres solutions pour figurer le rapport entre personnages du tableau, peintre et spectateur. Il s'agit de faire coexister deux éléments qui semblaient jusqu'alors incompatibles :
- une neutralisation de la présence du spectateur qui peut aller jusqu'à sa dénégation (impossible de rompre d'un seul coup avec la tradition de l'absorbement);
- une adresse directe au spectateur, dont ils ressentent la nécessité, sans vouloir dans un premier temps l'assumer complètement.
La puissance expressive de la peinture ne doit provenir ni de la forme, ni de la rhétorique (comme dans la peinture d'histoire), ni de la gestuelle des personnages (à la façon du théatre traditionnel), mais être contenue dans la présentation même. C'est ce qu'ont tenté, de manière indirecte, Alphonse Legros avec son Ex-voto ou sa Vocation de Saint-François - qui ont reçu l'approbation de la critique - ou Fantin-Latour avec ses autoportraits de jeunesse. Mais Fantin-Latour est resté insatisfait et a fini par détruire, en 1865, son tableau Le Toast! Hommage à la vérité. Seul Manet a persévéré avec vigueur dans cette voie. Il a multiplié les personnages en présentation frontale, dont le regard devait être aussi intense que possible. Ce procédé confère aux tableaux une dimension d'instantanéité qui semble être devenue, pour lui, un but en soi. La mise en acte du temps présent restera toujours pour lui un souci constant.
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