Il ne semble pas qu'Eugène Atget se considérait lui-même comme un "artiste", "auteur" d'une "oeuvre". Il produisait des documents qu'il vendait à des institutions comme la Ville de Paris, la Bibliothèque Nationale ou les Monuments historiques. Ce sont les surréalistes qui l'ont remarqué en 1925, avant qu'on le rapproche vers 1929 de la Nouvelle Objectivité allemande. Les premiers s'intéressaient à ses devantures de magasin (considérées comme des collages), les seconds à son genre de sensibilité, d'autres encore au formalisme de ses compositions ou à la présence du photographe dans les images. Mais chacune de ces lectures est partielle et dépend de la problématique de l'observateur. Les compositions d'Atget n'ont pas la cohérence d'une oeuvre. Elles sont inégales, disparates, complexes. Elles ne servent ni un style, ni une idée, ni une intention. On ne peut parler à leur propos ni de réussite, ni d'échec, ni d'évolution de l'auteur, car celui-ci répondait à des commandes et ne cherchait probablement pas une "expression personnelle" - ou bien s'il la cherchait, il a été remarquablement discret sur ce point. Il donnait à ses photographies des numéros correspondant à un catalogue de sujets topographiques (Paysages, Paris pittoresque, vieille France, etc...) dérivé du catalogue des institutions pour lesquelles il travaillait. Son intérêt pour les sujets le rapproche plus de l'anthropologie visuelle que de la photographie.

Eugène Atget n'est pas l'auteur d'une oeuvre artistique, mais le producteur d'une archive. La tendance contemporaine à démanteler cette archive pour la reconstruire dans les catégories de l'histoire de l'art est en contradiction avec ses pratiques.