Selon Michael Fried, Manet appartient à cette génération de peintres, dite de 1863, qui se situe entre deux réalismes : celui de Courbet, qui implique le corps, et celui des impressionnistes, qui implique la vision. Dans ce tableau, Manet, qui était droitier, se représente tenant le pinceau de la main gauche, c'est-à-dire dans une inversion spéculaire analogue à celle des autoportraits de Fantin-Latour. Dans son cas, compte tenu de la date, cette inversion est certainement volontaire. L'une des particularités visibles de ce tableau est sa rapidité d'exécution. La main qui tient le pinceau est floue, inachevée, comme s'il fallait souligner son mouvement rapide, ou comme si elle devait opérer de manière aussi instantanée, aussi immédiate qu'un regard. L'oeil et la main, dit Fried, sont mis à égalité. A peine le peintre a-t-il regardé son image dans le miroir, qu'il l'a déjà représentée. Il n'a pas eu le temps d'inverser l'image pour la restaurer dans sa latéralité.

Manet s'est-il inspiré de l'autoportrait de Velasquez dans les Ménines? Peut-être, mais Velasquez n'était pas si pressé, il regarde tranquillement le spectateur, tandis que Manet lui fait face avec inquiétude.