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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, bénédiction, malédiction | Derrida, bénédiction, malédiction | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 28 janvier 2012 | [Derrida, bénédiction, malédiction] |
Autres renvois : | |||||||||||||||
Derrida, le mal |
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Derrida, l'héritage |
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Derrida, l'alliance |
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1. Survie du singulier. Bien qu'on puisse louer ou bénir sans religion, une religion commence, avant même de commencer, par la louange ou la bénédiction. Ce qu'on bénit est toujours singulier : une date, un nom, un événement, une parole, un engagement, un commandement. Il faut que cet événement, indéchiffrable et intraduisible, dont tous les témoins ont disparu, reste intact. En le bénissant, on célèbre son anniversaire, son retour et l'alliance avec lui. C'est une façon de l'oublier, et en même temps de le partager, de le faire survivre. Toute bénédiction appartient à ce que Derrida nomme "le régime originaire de la foi testimoniale". Ne calculant pas, n'évaluant rien, elle se tient au-delà du vrai et du faux. Comme la prière, elle intègre l'incalculable dans le calcul. Du fond de cette crypte, elle ne cesse d'engendrer d'autres suppléments qui se multiplient et se dispersent à leur tour. On retrouve ce don inépuisable, cette générosité infinie, dans les récits miraculeux. C'est ainsi que dans le Livre de Tobie (seul texte de l'Ancien Testament reconnu seulement par les Chrétiens), Tobit, le fils, peut bénir à son tour son père en lui rendant la vue. Même si nous n'avons pas d'expérience directe de la bénédiction, même si nous ne comptons pas sur elle, nous ne pouvons pas vivre sans elle. Elle revient sous d'autres modes : le reste d'une opération disparue, une archive, une oeuvre qui, comme on dit, se transmet.
2. Il est impossible de savoir qui bénit, mais il faut bénir. On peut mesurer l'importance que la bénédiction aura eue pour Jacques Derrida au texte qu'il a fait lire à son fils le jour de son enterrement : "Jacques n'a voulu ni rituel ni oraison. Il sait par expérience quelle épreuve c'est pour l'ami qui s'en charge. Il me demande de vous remercier d'être venus, de vous bénir, il vous supplie de ne pas être tristes, de ne penser qu'aux nombreux moments heureux que vous lui avez donné la chance de partager avec lui. Souriez-moi, dit-il, comme je vous aurai souri jusqu'à la fin. Préférez toujours la vie et affirmez sans cesse la survie... Je vous aime et vous souris d'où que je sois". Parlant au présent, depuis la scène qu'il aura peut-être préférée, celle du "Je suis mort", il fait donc prononcer par un autre (son fils) les paroles : Il me demande de vous bénir. Qui parle? Un spectre, ou peut-être le "il" de l'illéité qu'il a interprétée, à partir de Lévinas, en elléité. Mais cela n'efface pas le "je" qui revient dans la suite de la bénédiction : "Je vous aime et vous souris d'où que je sois". Il faut qu'il y ait une source à la bénédiction, mais cette source est multiple, disloquée. Il aura fait en sorte que son ultime bénédiction, comme son oeuvre, le soit également.
3. Je te promets du bien, mais sans garantie. Qu'est-ce que bénir? C'est à la fois commémorer et vouloir faire survivre ce qui, du passé, est perçu comme bien. Dans le discours classique, une bénédiction ne peut, en tant que telle, promettre que du bien - mais comme elle ne procure aucune certitude, aucune assurance définitive, on ne peut jamais exclure que sa destination soit détournée, qu'elle se transforme en malédiction. Ses effets ne sont jamais acquis d'avance, ils restent toujours improbables, incalculables, indéchiffrables, retenus dans la main bénissante. Comment être sûr que cette chose qui a été vécue comme bonne dans le passé sera tout aussi bonne dans l'avenir? On ne peut jamais exclure que la promesse soit détournée, qu'elle se révèle maléfique, que la bénédiction s'arrête, que la parole transmise apparaisse comme un mensonge, une faute, la semence d'une catastrophe. D'ailleurs Dieu n'a-t-il pas lui-même, avec l'alliance de Noé, transformé une malédiction en bénédiction? La bénédiction, comme la malédiction, peut suivre des chemins étranges ou bouleverser l'ordre des générations. C'est ainsi qu'Isaac bénit involontairement Jacob à la place de son fils aîné; ou qu'Hamlet prend la responsabilité d'un crime commis avant lui. Le parcours n'est jamais écrit à l'avance.
4. Oeuvre et bénédiction : une lecture de Béliers. On peut lire le texte de Jacques Derrida, Béliers, sous l'angle de la bénédiction., un thème introduit dès l'introduction de ce texte (p10), à propos duquel Derrida cite deux poèmes de Paul Celan. cf : Jamais une bénédiction n'est acquise d'avance; on ne peut pas compter sur elle, elle reste toujours improbable, retenue. L'oeuvre poétique est une chambre d'échos. Un poème qui réinvente ce dont il hérite, qui dissémine ses semences, qui salue l'autre, c'est plus encore qu'une bénédiction : c'est l'essence de la bénédiction. cf : Dans la prière poétique s'annonce l'essence de la bénédiction : en s'adressant à un reste, une cendre, c'est l'expérience de l'incinération de la date, consumée dès le commencement.
5. Une bénédiction silencieuse. Il est illégitime de forcer qui que ce soit à recevoir un héritage. Partir sans laisser ni adresse, ni trace, ni tombe, sans persécuter l'autre avec ses restes, est la bénédiction ultime. Peut-être Jacques Derrida lui-même a-t-il pensé agir ainsi quand il a fait lire par son fils sa propre oraison funèbre. Peut-être a-t-il voulu s'envelopper, ce jour-là, d'un talith de silence - mais ce n'est pas à lui de dire s'il a réussi.
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-------------- Propositions -------------- -Dès la naissance, on porte la responsabilité du crime de l'autre, d'un mal que personne ne saurait avouer, sauf à se confesser en confessant l'autre -Dans la prière poétique s'annonce l'essence de la bénédiction : en s'adressant à un reste, une cendre, c'est l'expérience de l'incinération de la date, consumée dès le commencement -La bénédiction s'arrête quand quelque chose du passé, qui fut perçu comme bon ou mauvais, survit, prolifère et donne au mal un avenir -Jamais une bénédiction n'est acquise d'avance; on ne peut pas compter sur elle, elle reste toujours improbable, retenue -Ce qui arrive avec la prière quand, dans le désert, elle intègre l'incalculable dans le calcul, est de l'ordre de la bénédiction -Une promesse appartient à l'ordre de la bénédiction : je ne peux promettre que du bien -La date est le nom propre de l'événement singulier, capable de survivre -Pour avoir enseveli les morts, Tobit reçoit en surabondance une bénédiction dont il doit se faire le scribe -Comme la bénédiction, la prière se tient au-delà du vrai et du faux; elle appartient au régime originaire de la foi testimoniale -Partir sans laisser d'adresse est la bénédiction ultime : laisser l'autre survivre sans la surcharge d'un héritage, sans le poids d'un deuil -Une religion commence, avant la religion, à la bénédiction des dates, des noms et des cendres -Autour d'une bouche parlante, le poème salue l'autre, il le bénit, il le porte -Il fallait qu'Isaac et Jacob soient devenus aveugles pour qu'ils puissent accomplir le dessein de dieu en bénissant par substitution l'autre fils -Alliance de Noé : comme s'il regrettait la malédiction du déluge, Dieu se demande pardon à lui-même et bénit tout vivant; mais le signe de cette alliance est furtif, météorique -Le talith enveloppe un seul corps, unique, pour la prière, la bénédiction et aussi pour la mort -A sa mort, Jacques Derrida s'est rendu à lui-même un hommage de silence |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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Derrida DerridaBenediction AA.BBB DerridaCheminementsLQ.BE.NED BX_DerridaBenediction Rang = zQuoisDerridaBenedictionGenre = - |
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