On trouve ces déplacements :
- chez Freud, quand il soutient qu'à l'origine de la beauté se trouve un déplacement vers le haut. La pudeur, la famille et la culture (se) protègent de la crainte de la castration ou d'une sexualité excessive en valorisant ou survalorisant une pulsion scopique qui se voudrait dépourvue de but sexuel ou pulsionnel (sublimation). Mais cet objectif n'est jamais atteint. La beauté a toujours partie liée avec l'inconscient - et le regard le plus apaisé véhicule aussi le désir.
- chez Kant, quand le jugement de goût écarte l'intérêt du sujet, quand il proscrit la jouissance pour la remplacer par un plaisir qualifié de pur et désintéressé, mais fait de parole et de discours.
- chez Derrida, quand l'énergie du dégoût, à laquelle on ne peut rien substituer (pas même le vomi, ce mot, cet objet qui fait limite et qu'une activité permet de maîtriser), se déplace sur l'expérience de ce non-savoir irréductible qu'eset le beau.
Hubert Damisch prend l'exemple du Jugement de Pâris. Dans ce mythe, c'est un mortel, Pâris, qui juge de la beauté; mais il ne peut en juger que parce que les thèmes du mythe - désir, plaisir sexuel, libre-arbitre, histoire - correspondent à des déplacements de la sphère sexuelle dans des domaines auxquels les immortels n'ont pas accès [car les immortels n'ont pas à se reproduire, ils vivent entièrement dans le mythe et non pas dans l'histoire]. Dans la beauté, ce qui fascine le mortel, ce qui le pétrifie, ce qui prédétermine son choix, n'a rien d'esthétique. C'est ce tout autre auquel les Grecs ont donné le nom de Gorgone.
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Georges Didi-Huberman choisit d'autres exemples : Mars et Vénus ou La Naissance de Vénus de Botticelli. Derrière ce corps gracieux et pudique, ce qui se dissimule est l'horreur de la castration d'Ouranos par son fils Cronos, ou la violence du Dieu de la guerre. La beauté n'est jamais pure : elle est le résultat d'un conflit.
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