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Souvent, dans les tableaux de Manet, un seul personnage dévisage le spectateur, comme s'il fallait que celui-ci soit, d'un seul coup, happé par ce regard, et que le reste du tableau soit subordonné à ce choc instantané, immédiat. C'est le cas avec la jeune effrontée du Déjeuner sur l'herbe (1863), mais aussi avec le Vieux musicien peint une année auparavant, ou encore avec le Déjeuner dans l'atelier de 1868. Autour de ce personnage central, les autres figures sont alignés sur la toile, juxtaposées, sans cohérence narrative ou dramatique. Cette structure de face-à-face, typique du portrait, se rencontre chez Manet dans l'Autoportrait à la palette, dans la Chanteuse de rue comme dans la figure insistante de Victorine Meurent. Elle n'est pas portée seulement par le regard mais peut l'être aussi, par exemple, par le mouvement de la main, par la crudité des couleurs, par la vitesse de mouvement ou d'exécution, ou encore par le dispositif d'ensemble, comme dans La Vocation de saint François (1861) de ce peintre qui fut proche de Manet dans sa jeunesse, Alphonse Legros, où elle envahit toute la surface du tableau. Pour réaliser ce programme, Manet peut s'inspirer de l'estampe japonaise comme de la photographie. L'oeuvre produit alors un effet de globalité distinct de l'effet d'ensemble traditionnel. Un désir de frontalité et d'intensité lui procure une efficacité singulière. Devenu tout entier surface, saisi d'un seul coup d'oeil, le tableau déclenche une vision rapide, instantanée. Il ne s'agit pas de la saisie intellectuelle d'un moment dramatique, comme chez David avec son Bélisaire aveugle recevant l'aumône, mais d'un plaisir contemplatif difficile à expliquer, inintelligible, auquel les nombreuses citations de maitres anciens sont subordonnées.
Dans l'Exécution de l'empereur Maximilien, cette instantanéité produit, littéralement, un effet de frappe où l'exécution de la peinture et celle de l'empereur se rejoignent.
A quelle pensée rapporter le Déjeuner sur l'herbe? Quel est son sujet? Devant ce tableau illisible, les spectateurs sont déconcertés.
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Propositions
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- Avec "La Chanteuse de rue", Manet entreprend la mise en acte de l'instantanéité, sa thématisation directe
- Le portrait chez Manet s'adresse au spectateur vivant; c'est une confrontation qui doit être aussi frappante, intense et impressionnante que possible
- Plus encore que la rapidité de sa main, c'est la rapidité de sa vision qui donne l'une des clefs de l'art de Manet
- Un regard tourné vers le spectateur confère à la scène une dimension d'instantanéité
- Il y a chez Edouard Manet une préférence pour les personnages en présentation frontale, aussi dénués d'expression que possible
- Est instantanée une oeuvre dont chaque fragment de surface se présente face au spectateur - comme dans "La vocation de saint François", d'Alphonse Legros
- Chez Manet, la vitesse du regard qui immobilise le motif, et celle de la main qui exige une exécution rapide, sont complémentaires
- Dans l'"Autoportrait à la palette" de Manet, le mouvement rapide de la main semble subordonné à l'instantané de la vue
- Par ses découpes tranchées et la crudité de ses couleurs, Manet cherche à capter l'instant, dans "son attaque et son acte propres"
- Dans sa recherche de l'instantanéité et de l'efficacité, Manet s'inspire à la fois de l'estampe japonaise colorée et d'un type particulier de photographie
- Autour de 1860, un nouveau genre de désir, celui d'une "peinture intense", introduit un clivage dans la relation du tableau au spectateur
- L'"Exécution de l'empereur Maximilien" est une allégorie de l'entreprise picturale de Manet : un conflit violent entre une peinture qui frappe et un spectateur-victime
- Le tableau de Manet, "Le Christ aux outrages", exhibe sans retenue ses sources photographiques
- Manet cite les oeuvres du passé, mais le passé chez lui n'est plus vivant, les motifs cités sont radicalement séparés du système auquel ils avaient appartenu
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