Autrefois le "direct" était exceptionnel, c'était un accident qui venait dérégler des programmes télévisuels trop lisses et répétitifs. Ce supplément de réel venait sauvement bousculer le défilé des présentateurs, animateurs et commentateurs... - comme une chose, un "ça", le retour d'un refoulé. Aujourd'hui le "direct" (devenu "temps réel") a changé de dimension : qu'il s'agisse de la première guerre du Golfe (1991), du 11 septembre 2001 ou de la révolution roumaine (1989), ce sont des événements extraordinaires, exceptionnels (à la façon de Giorgio Agamben), qui peuvent être vus en direct à la télévision. C'est la revanche du spectacle : "L'événement n'est plus un accident dans le cours ordinaire du spectacle, mais le spectacle lui-même de l'accident". Le programme lui-même annonce le direct, qui atteint en même temps tous les corps et les âmes. Il faut que l'événement se produise devant nous, dans la dénégation du différé propre à tout système de représentation. Il faut que nos corps, absents dans la scène, soient présents devant l'écran.

Le direct télévisé est un espace public, un lien entre le spectateur et l'écran, et aussi un lien entre spectateurs. Il suppose la crédibilité du spectacle : que le temps réel ne soit ni manipulé, ni monté (ce qui est impossible). Il suppose aussi de la part du spectateur une passivité, une impuissance et aussi une jouissance : devant la catastrophe, la torture ou un match de football, tout est mis sur le même plan [et susceptible de générer un profit publicitaire].

11 septembre ou Videogramme d'une révolution de Harun Farocki et Andrei Utija.