Dès lors qu'une indignation ou une protestation contre la violence admet une ligne de partage entre d'une part des souffrances qui peuvent trouver une justification et d'autre part des souffrances inacceptables, quelle que soit cette ligne ou cette frontière (géographique, ethnique, communautaire, économique, religieuse ou politique), quelles que soient les bonnes raisons qui peuvent être données pour justifier la violence, quel que soit le type de consentement (actif ou passif, implicite ou explicite) qui est donné à cette violence, alors cette indignation ou cette protestation est disqualifiée ou décrédibilisée, car elle contredit les principes mêmes dont elle se réclame.

On ne peut réclamer pour les uns ce qu'on refuse aux autres. On ne peut juger légitimes ailleurs des destructions qui, ici, scandalisent - car ce sont les mêmes principes de rejet de toute mort violente qui doivent s'appliquer, ici et ailleurs. Dès qu'une autre logique s'installe, dès que l'attachement à une communauté restreinte prévaut sur les principes moraux, que ce soit au nom de la sécurité, de l'identité ou de n'importe quelle cause, alors les violences dépassent vite les limites qu'on imaginait.

"S'ils sont d'un autre lignage", par Francesco Goya, in "Les désastres de la guerre" (1810-20).