Se promenant dans les rues d'Istanbul, Jacques Derrida rencontre, dit-il, une vieille communauté juive séfarade. Est-ce vraiment une rencontre, ou bien rencontre-t-il ce qu'il cherchait déjà à l'avance? Que cherche-t-il quand il voyage? Les exilés dit-il, mais ce qu'il trouve en ces exilés-là (qui ne sont pas en exil, qui sont une petite minorité de survivants dans le pays où sont nés leurs ancêtres) c'est le secret qui est déjà en lui. Ce Juif qui voyage n'erre pas, il chasse le secret, dans les deux sens du mot : il le fait fuir, et il est à sa poursuite; et il est chassé par le secret qui ne le laisse pas en paix, qui le fait fuir et qui est à sa poursuite. Telle est la position du marrane : avoir (presque) oublié sa propre filiation, mais être poursuivi par ce secret encore plus vieux que cette filiation, ce secret enfoui dans son corps, dont il voudrait se sauver mais qu'il veut sauver.

Ce thème est associé à celui d'une grossesse ou d'un accouchement. Un messie se cache un lui et pourrait, un jour, sortir - mais alors ce serait (pour lui) une mort et en même temps une (re-)naissance (comme tout voyage). Que de travail pour faire venir ce messie, porteur d'un message inconnu, illisible.