Apelle de Cos (qu'on écrit aussi "Apelles") est un peintre grec du 4ème siècle avant J-C, que Pline l'Ancien a évoqué en citant deux de ses oeuvres, la Vénus anadyomène et La Calomnie. Ce tableau raconte une anecdote narrée par Lucion de Samosate, qui a vécu environ trois siècles plus tard. Protégé par le roi Ptolémée IV, Apelle aurait été accusé par un autre peintre, Antiphilos, d'avoir participé à une révolte. Mais c'était une calomnie; et l'aveu d'un des meneurs a conduit à sa libération. Botticelli aurait-il été, lui aussi, victime d'une calomnie? L'homme innocent, jeté à terre, vêtu d'un simple pagne, n'est pas un autoportrait, mais le peintre pourrait s'y identifier. A droite, sur l'autel, on peut voir un juge aux oreilles d'âne, incapable de discerner la vérité - à moins que ce ne soit le roi lui-même (Ptolémée ou Midas). Autour de lui, deux femmes lui susurrent des mensonges : d'un côté le Soupçon, et de l'autre la Duperie (à moins que ce ne soit l'Ignorance). Au centre, la Calomnie est richement habillée. Son regard froid tourné vers la victime, elle le tire par les cheveux et tient de l'autre main une torche allumée. Elle est entourée par deux servantes, qui pourraient être la Fourberie et la Fraude (ou encore la Séduction, le Piège, la Haine, l'Envie), qui tissent un ruban dans sa chevelure. Le bras tendu du roi croise celui d'un autre homme, l'Inimitié. Il est sur le point de prendre une décision, tandis qu'à gauche la Vérité en appelle au jugement divin. Le Repentir (à moins que ce ne soit la Pénitence ou le Remords), près d'elle, a le visage d'une vieille femme grimaçante en toge noire, les bras croisés.

Une dizaine d'années plus tôt (vers 1484-86), Botticelli avait peint La Naissance de Vénus, qui réussissait un étonnant mariage de sensualité et de pureté. Mais entre-temps (vers 1487), la prédication de Savonarole s'était déchaînée. Botticelli lui-même s'était détourné des plaisirs des sens. Isolée sur la gauche du tableau, la Vérité est nue, mais elle n'a plus rien de désirable. Les lignes de son corps ont perdu leur fluidité, la tresse de cheveux ne descend plus jusqu'à la hanche, la taille amaigrie a perdu sa grâce.

Il arrive que, dans un tableau comme dans un texte, l'essentiel réside dans les détails. Voyons donc :

- les statues posées dans les alcôves. De droite à gauche : Judith avec la tête d'Holopherne tranchée à ses pieds, David ou Thésée, Jupiter et Antiope, Minerve et la tête de Méduse - rien de très extraordinaire.

- les frises du haut et du bas : combats et familles de centaures, rencontre d'Ariane et de Bachus - rien à signaler.

- c'est tout? Non, car l'essentiel de l'essentiel, comme toujours, est à la fois évident et dissimulé. Pour le trouver, il suffit de suivre le doigt de la Vérité, pointé vers le haut, en direction des caissons d'une arcature. Là se trouvent les scènes les plus passionnantes car elles représentent la mise à mort de Vénus telle que Botticelli l'avait peinte quelques années plus tôt, dans les quatre panneaux de l'Histoire de Nastagio degli Onesti.