Qu'est-ce qu'avoir un corps pour un pianiste? Au moment où il joue, Peter Szendy a le sentiment que son corps se rétracte, qu'il en est dépossédé, destitué, que les membres qui sont au contact des touches ne l'habitent plus, qu'ils sont à contre-corps. Ce n'est pas lui qui joue, c'est un autre, un inconnu, un "soi" distinct de son "je" - à moins que ce ne soit l'instrument lui-même - devenu autophone - qui joue tout seul, ou que son corps organique ne soit transfiguré. Un autre corps est fabriqué, frayé, fictionné, celui d'un "soi" qui n'est ni l'inconscient freudien, ni un "ça", mais un corps improbable, silencieux, sans figure ni destination, un corps en transe d'"avant" les pulsions, un corps fabriqué, façonné, hanté.

Dans le corps à corps musicien surgissent des membres et des organes fantômes qui ne sont pas désincarnés. On peut faire l'épreuve de leur rémanence, leur restance. Où sont ces corps? Ils sont là, mais d'une certaine façon qui n'est ni la présence courante d'un corps, ni un là-bas fabuleux.