Certains ont accusé Jacques Derrida de ne pas s'engager sur la question de la justice, de soutenir une position "quasiment nihiliste" en niant l'opposition du juste et de l'injuste. S'il a écrit le présent texte (Force de loi), c'est pour répondre à cela, pour réaffirmer non seulement que, pour lui, le problème de la justice est essentiel, mais que la possibilité même de la déconstruction en dépend. La déconstruction est la justice dit-il, sa responsabilité est illimitée. Elle n'intervient pas aux marges de la déconstruction, mais dans son mouvement même, par une double tâche :

- (mémoire) : rappeler l'histoire, l'origine, le sens, les fondements, les limites et aussi les présupposés des concepts de justice, de loi et de droit, pas seulement dans une langue, mais en "plus d'une" - car chaque culture a son concept de justice, chaque culture à ses mots, ses idiomes. La justice s'adresse toujours à des singularités. Il ne faut pas s'arrêter à une seule détermination, un seul héritage, mais rester sensible à tout ce que l'exigence de justice implique de disproportion, d'excès et d'inadéquation.

- (concept) : la déconstruction du concept de justice entraîne celle de "tout un réseau de concepts connexes : propriété, intentionnalité, volonté, liberté, sujet, moi, personne, communauté, décision, etc..." Il n'est pas irresponsable de les déconstruire, au contraire, c'est un moment nécessaire sans lequel aucune transformation juridico-politique ne peut avoir lieu. Pour appeler à toujours plus de justice, il ne faut pas s'enfermer dans un sommeil dogmatique.