L'appel à la justice n'est ni réfléchi, ni rationnel. Il ne résulte ni d'un savoir, ni d'une délibération, mais d'une décision, d'un acte performatif qui s'impose dans l'urgence, la précipitation, s'affirme sans tenir compte des conventions antérieures. Je te dis que c'est injuste, ou encore : La justice, il n'y a que ça de vrai. L'événement de justice aura toujours été à venir, il est toujours à venir. Il ne faut pas que le futur reproduise le présent, il faut qu'il le transforme. On ne peut rien dire sur la façon dont il le transformera, ce n'est pas programmable, anticipable, car la justice est toujours en excès sur le droit. On ne peut pas prévoir ce que donnera la justice. Il y a toujours un risque que l'appel conduise au mal et à la folie.

Mais il ne faut pas pour autant renoncer à agir dans les domaines éthique, économique, philosophique, etc... Que la justice soit incalculable, qu'elle ouvre à une dissymétrie infinie, messianique, ne doit pas conduire à l'inaction politique, à l'absence de calcul. Au contraire, Jacques Derrida insiste sur le caractère double et hétérogène de l'exigence de justice. Il faut lutter pour l'émancipation, les droits de l'homme, et aussi les déconstruire, les réélaborer; il faut agir dans le lieu où nous sommes, et aussi au-delà de ce lieu, au-delà des partitions national/international, public/privé, homme/femme, humain/animal, il faut ouvrir la possibilité de l'avenir, et aussi négocier, inventer des compromis, etc...